Samantha, une actrice talentueuse et acclamée, vient de décrocher un Oscar tant convoité. Mais ce triomphe ne suffit pas à la satisfaire. Samantha est avant tout une femme engagée. Lorsqu'elle est envoyée en Afrique pour incarner une infirmière humanitaire, elle est décidée à s’investir totalement dans cette mission.
Sur les terres sauvages de la Tanzanie, le destin de Samantha croise celui de Lewis, un médecin dévoué au service des plus démunis. Dans ce monde si différent de celui qu'elle connaît, Samantha se retrouve confrontée à un méfiant envers le star-system et les paillettes qui voit en elle une intruse dans son domaine, loin des réalités de son quotidien.
Entre deux personnalités aussi déterminées que têtues, les étincelles ne tardent pas à jaillir. Malgré leurs différences, les voilà liés par une aventure qui les dépasse et les mènera aux frontières de leurs émotions. Cependant chaque jour passé ensemble les rapproche.
Dans ce court roman palpitant, suivez le périple de Samantha et Lewis, alors qu'ils affrontent ensemble les défis et les épreuves de l'Afrique, révélant ainsi des parties d'eux-mêmes qu'ils n'avaient jamais soupçonnées.
CHAPITRE PREMIER
— L’Oscar de la meilleure actrice est décerné à…. Samantha Davenport !
Le visage sidéré de la lauréate apparut sur tous les écrans du Chinese Theater. Son premier, son tout premier Oscar ! La seule récompense qui manquait encore à son palmarès. L’ultime consécration.
— Bravo Sam ! s’écria Megan, sa meilleure amie, en sautant sur ses jambes et en applaudissant à tout rompre. C’est tellement mérité !
— Félicitations, ma belle, je suis fier de toi, lança Paul, son agent, tout excité.
— Tu l’as fait ! explosèrent en chœur Colin et Martha, en bondissant de leur fauteuil.
— Allez ! la secoua doucement Megan, va chercher ton trophée !
Samantha se leva. Elle remarqua alors que la salle entière était debout. Encore un peu sonnée, elle descendit jusqu’à la scène en priant pour ne pas tomber. Elle avait l’habitude des hauts talons et des robes longues, mais l’émotion la faisait trembler.
— Félicitions, Sam, cria Michelle Simons, l’une des prétendantes au titre, en la prenant dans ses bras pour une courte étreinte.
— Merci…
Lorsqu’enfin elle arriva sur l’estrade, elle eut le souffle coupé. Voir le Tout-Hollywood lui réserver pareil accueil avait quelque chose d’irréel. On avait l’impression qu’il ne s’était jamais rien passé. Que personne ne l’avait jamais décriée, moquée ou vilipendée. Qu’elle n’avait pas, pendant plusieurs années, été blacklistée par les grands noms de la profession. Elle se doutait bien sûr que certains sourires étaient faux, mais l’effet était tout de même saisissant.
— Ah, fit Carter Ash, tout sourire.
L’homme qui tenait son Oscar était l’un des acteurs les plus sexy, les plus en vue du moment. Dès qu’il s’approcha d’elle, Samantha entendit des sifflets et des cris hystériques venant du haut des gradins : des fans jalouses, qui auraient tout donné pour se trouver à sa place.
Sincèrement heureux que ce soit elle qui ait remporté la statuette, Carter, la lui remit et la serra dans ses bras.
— Surtout, ne changez pas, lui souffla-t-il à l’oreille.
Samantha sourit au clin d’œil discret qu’il lui décocha, puis se dirigea vers le micro pour le traditionnel discours de remerciement. Même si elle avait douté de remporter le trophée, elle en avait préparé un. Au tout dernier moment, elle décida de l’ignorer.
— La cinquième nomination était donc la bonne, commença-t-elle en riant. Comme quoi il ne faut jamais se désespérer.
Carter s’esclaffa, à peu près comme tout le monde dans la salle.
— Je vous avoue que je peine à le croire. C’est un rêve de petite fille qui, ce soir, se concrétise. Pour m’avoir aidée à le réaliser, je voudrais remercier…
Le public se rassit ; certains sortirent leur téléphone portable de leur poche ou de leur sac. Ils devinaient ce qui allait suivre : la litanie des remerciements envers tous ceux qui avaient contribué, de près ou de loin, à son succès. Mais Samantha n’était pas tout à fait comme les autres. Hollywood devrait être habitué.
— Je tiens à remercier Baldwin.
Elle les avait tous pris par surprise. Elle le comprit parce qu’ils levèrent la tête, cessèrent de discuter, froncèrent les sourcils. Personne n’avait oublié que Baldwin Stark avait fait de la vie de sa femme – et de leur fille unique, Violette, un enfer. Ses problèmes d’alcool et de drogue, ses infidélités à répétition, même sa violence étaient restés dans les annales. Incapable de percer dans le monde du cinéma et d’obtenir autre chose que des seconds rôles, Baldwin avait nourri envers son épouse une rancœur et une jalousie qu’un jour, il n’était plus parvenu à maîtriser.
Ceux – et ils étaient nombreux, qui dans la salle connaissaient cette histoire se demandèrent comment Samantha pouvait attribuer à l’homme qui lui avait fait tant de mal, l’Oscar qu’elle tenait entre ses mains. Aucun ne le comprit.
— Merci à Baldwin oui, parce que sans lui, je n’aurais probablement pas cherché à me surpasser comme je l’ai fait ces sept dernières années. Je ne me serais pas battue avec autant de hargne pour offrir à ma fille, ce qu’elle mérite. Sans lui, je crois que je n’en serais pas là ce soir. Alors merci, Baldwin, d’avoir fait de ma vie de la merde pendant si longtemps.
Quelques-uns toussèrent d’inconfort, Samantha s’en moqua.
— Merci aussi à Violette. C’est pour toi, ma chérie, que je me suis levée chaque matin, que j’ai travaillé si dur, que j’ai serré les dents. Pour toi. Parce que je voulais que tu aies au moins un parent qui assure, qui soit pour toi un modèle, un repère, une référence.
Samantha entendit quelqu’un crier Yes !. Elle n’avait pas besoin de chercher dans la salle, elle savait que c’était Megan. Son amie avait été aux premières loges pendant la descente aux enfers du couple Stark. Elle l’avait vue elle, tomber au fond du gouffre, puis renaître de ses cendres et se jeter à corps perdu dans le travail pour remonter la pente et prendre soin de Violette. Elle connaissait même le terrible secret de Samantha : sa tentative de suicide, un soir de trop-plein. Aujourd’hui bien sûr, Baldwin faisait partie des archives, de la mémoire collective – voilà près de huit ans qu’ils avaient divorcé, mais Samantha n’oubliait pas et n’oublierait jamais. Dire qu’elle en avait bavé serait un doux euphémisme…
— Merci à Peter Stuart mon partenaire, à Colin et Martha pour m’avoir fait confiance en me proposant le rôle de Tiffany. J’ai adoré interpréter ce personnage, lui donner vie. Je sais que nous étions plusieurs sur la liste… que dire si ce n’est vous avez été bien inspirés.
Quelques personnes rirent, mais dans l’ensemble, son auditoire resta crispé, dans l’expectative. Il la connaissait suffisamment pour savoir qu’en lui donnant le micro, il fallait se préparer à tout, y compris à ce qu’elle transforme la scène du Chinese Theater en une tribune politique. Actrice très engagée, elle ne manquait en effet jamais une occasion de soutenir ouvertement, d’interpeller et de dénoncer. Ses prises de position, ses coups de gueule étaient désormais légendaires. Mais avaient-ils leur place lors d’une cérémonie comme celle des Oscars ? Pour beaucoup, la réponse était négative.
Samantha s’amusa de les voir retenir leur souffle. Elle se borna cependant à lancer un dernier merci à la volée, avant de laisser Carter l’emmener en coulisses où l’attendaient les journalistes. Elle se plia au protocole, répondit aux questions, se montra fière de son travail, de son film, et reconnaissante envers la profession.
— Et maintenant ? interrogea Pax Huong, une blogueuse très populaire.
— Je pars en Afrique de l’Est.
— Le prochain film de Peter Prat ?
— Vents des sables, oui, c’est ça.
— Vous avez incarné Tiffany devant et hors caméra pendant des mois, êtes-vous prête à tourner la page ?
— À un moment ou à un autre, chaque histoire doit se terminer. Je trouve que cet Oscar est un très beau point final, pas vous ?
— En effet. Vous devez avoir le sentiment du devoir accompli, non ?
— En quelque sorte. J’ai porté Tiffany du mieux et aussi loin que j’ai pu. À présent, il est temps de lui dire au revoir et de passer à autre chose.
— Peut-être que ce rôle vous vaudra un nouvel Oscar.
— Vous pensez que l’Académie me récompenserait deux années de suite ? Je n’en suis pas convaincue, Pax, d’autant qu’il y aura beaucoup de moi dans Kate…
— Justement !
À la tête d’un blog sur le cinéma et l’actualité de Hollywood très suivi, Pax Huong, n’avait jamais caché son admiration pour Samantha qui même quand sa peau saignait, continuait d’enjamber les barbelés. Elle était une fan de l’actrice et une inconditionnelle de la femme.
— Revenez-nous vite. En ces temps troublés, nous avons besoin de modèles comme vous.
— Moi ? Oh non, je ne suis le modèle de personne !
Pax posa la main sur l’avant-bras de l’actrice.
— Bien sûr que si, vous l’êtes, et c’est tant mieux.
Samantha esquissa un sourire teinté d’ironie.
— Je doute que le policier qui m’a mis les menottes aux poignets le mois dernier ou que ce type qui a jeté un tas d’ordures sur le toit de ma voiture, partagent votre opinion…
— Samantha ? Une photo pour le Los Angeles Midnight Post ?
Un peu à contrecœur, mais bonne joueuse, Pax Huong céda sa place.
— Bon voyage, Samantha, à bientôt.
Samantha lui adressa un clin d’œil complice avant de se détourner pour satisfaire la curiosité des autres journalistes.
Après la conférence de presse et la soirée qui avait immédiatement suivi la cérémonie, Samantha se laissa reconduire par Léo, son chauffeur et garde du corps, chez elle, dans les hauteurs de Los Angeles. Elle allait enfin pouvoir savourer son triomphe avec la personne qui avait le plus d’importance à ses yeux : Violette.
— Maman ! l’accueillit l’adolescente en se ruant sur elle, c’est trop génial ! C’est toi qui l’as eu, tu te rends compte ?
— Oui ma chérie, fit Samantha en serrant sa fille dans ses bras. Entre nous, la rumeur circulait depuis quelques jours, et ce matin, Martha m’a laissé entendre que les dés étaient quasiment jetés.
— Pourquoi as-tu tenu ta langue ? Tu aurais dû me prévenir ! Je me suis rongé les ongles en attendant le verdict !
Avec beaucoup de tendresse, Samantha passa la main dans la chevelure de Violette, aussi rousse que la sienne, et plongea son regard vert bouteille dans celui, plus clair, de sa fille.
— Excuse-moi, ma puce. Je ne voulais pas qu’il y ait une mauvaise surprise de dernière minute. Avec l’Académie, on n’est jamais à l’abri d’un revirement.
— Avec l’Académie, répliqua Violette, un rictus au coin des lèvres, ou avec toi ? Ils te connaissent maman, ils savent que tu es capable de plomber l’ambiance d’un coup. Ils s’y attendaient peut-être d’ailleurs…
— Eh bien j’ai déjoué les pronostics.
— J’ai vu ça… merci pour l’hommage, à ce propos.
— J’avais prévu d’autres mots, mais ceux-là sont sortis tout seuls.
Violette hocha la tête. Elle n’était alors qu’une enfant, mais elle aussi avait souffert. Des cris. Des disputes. Des insultes. D’entendre son père, ivre, invectivant sa mère, la traitant de tous les noms, la menaçant… levant la main sur elle. De le voir, le visage penché vers la table basse pour se droguer et lui beugler de dégager.
— Je pensais chaque mot, ma puce. Ceux le concernant et ceux qui t’étaient destinés. Chacun à votre façon, vous m’avez conduite sur cette scène ce soir.
Ne sachant quoi répondre, l’adolescente se lova dans les bras de sa mère.
— Je t’aime, maman.
— Et moi donc, ma chérie. Sans toi, je ne suis rien.
— Hum… les trophées dans la bibliothèque tendent à prouver l’inverse.
Samantha se mit à rire.
CHAPITRE DEUX
Aéroport International de Mwanza – Tanzanie
Samantha était profondément agacée, pour ne pas dire véritablement en colère contre Peter et Déborah, les producteurs de Vents des sables. Ils avaient ignoré son avis et lui avaient imposé leur duo de casse-pieds : Angelo Vitale et Daniel Foy, respectivement chargé de communication et cameraman. Deux glus qui n’allaient pas la quitter d’une semelle pendant la semaine. Ils la suivraient partout et la filmeraient non-stop. Cela fera une belle promotion pour Vents des sables, avait argué Peter. Et maintenant que tu es oscarisée, encore plus ! avait enchéri Déborah. Samantha avait eu beau taper du poing sur la table et expliquer qu’elle se rendait en Tanzanie pour travailler le rôle de Kate, ils n’avaient rien voulu entendre, ou plutôt si, ce qui les arrangeait. Ce documentaire sur ta manière d’aborder un rôle va faire un carton, j’en suis certain. Sérieusement, Sam, je ne vois pas du tout pourquoi tu t’y opposes.
Ils ne voyaient peut-être pas, elle si. Plus encore à présent qu’Angelo l’interpellait en faisant peu de cas du monde qui les entourait.
— Sam, ma puce, tu pourrais faire un grand sourire ? Si tu le veux bien, Daniel va faire quelques clichés de toi.
— Justement non, je ne le souhaite pas…
— Ah ces artistes ! soupira Angelo en dévisageant quelques-unes des personnes qui avaient voyagé à bord du même avion et qui, dans le hangar, assistaient, médusées à la scène. Ils sont tous plus capricieux les uns que les autres.
— Je ne suis pas capricieuse ! Je n’ai simplement pas envie que tu tournes cette semaine en ridicule. Nous ne sommes plus aux Oscars. Le spectacle est fini.
— Chérie, chérie, calme-toi, d’accord ? Tu es une actrice, le spectacle est ta raison d’être. Et maintenant que tu as gagné la statuette la plus convoitée qui soit, c’est encore plus vrai. Tes fans vont se ruer sur les réseaux sociaux pour te suivre, voir ce que tu fais, avec qui tu le fais… te montrer en plein boulot est un moyen de vendre Vents des sables avant même qu’une seule scène ne soit tournée.
— Une campagne de promotion traditionnelle était bien suffisante. Il était inutile d’en faire davantage, d’autant que je voulais me faire discrète.
— Pourquoi ça ? Préparer un rôle avec autant de professionnalisme est tout à ton honneur ; tu devrais être fière de toi.
— Là n’est pas la question ! Je te rappelle que nous sommes en Tanzanie pas à une cérémonie hollywoodienne, et que le thème de Vents des sables n’a rien de joyeux.
Angelo ouvrit la bouche, mais elle ne lui laissa pas le temps de répliquer.
— Je te préviens, tu as intérêt à te tenir comme il faut quand nous serons avec les gens de TogertherNow. Je prends ce séjour très au sérieux, Angelo.
— Moi aussi, je t’assure.
Samantha ancra son regard vert foncé dans celui du chargé de communication. Elle imaginait sans peine la tête des bénévoles qu’elle s’apprêtait à rejoindre lorsqu’ils la verraient, photographiée et filmée par Daniel pendant qu’Angelo donnerait ses directives plus ou moins loufoques : mets tes cheveux en arrière, souris davantage, donne la main à un petit, mets-toi au milieu… elle n’avait aucune envie de ça.
— Je n’ai pas emmené Hollywood dans ma valise, claqua-t-elle sèchement.
Angelo se fendit d’un sourire qui l’exaspéra. Cette fois pourtant, elle ne dit rien. Dès qu’elle identifia ses bagages, elle s’en saisit et se dirigea vers la sortie, ses deux compatriotes sur les talons.
Normalement, ils étaient attendus par un membre de TogetherNow. Elle fouilla l’aéroport du regard avant de s’arrêter sur une jeune femme noire, vêtue d’un tee-shirt jaune poussin ; le nom de l’association humanitaire était floqué sur sa poitrine.
— Là ! fit-elle en se dirigeant vers elle d’un pas déterminé.
— Ouh ouh ! cria Angelo en agitant les bras.
Samantha leva les yeux au ciel.
— Arrête ton cirque !
La jeune femme était accompagnée d’un homme au teint hâlé, aux cheveux bruns, au visage fermé.
— Vous êtes les bénévoles de TogetherNow ? interrogea-t-elle sans masquer son plaisir.
L’homme haussa un sourcil.
— Oui, et vous, vous êtes Samantha Davenport ! Je suis enchantée de vous rencontrer, madame Davenport ! Je m’appelle Winta et voici Lewis, l’un des médecins de TogetherNow. Bienvenue en Tanzanie, j’espère que votre séjour vous plaira… Samantha serra la main amicale qu’elle lui tendait. Lewis en revanche, garda la sienne résolument dans la poche de son pantalon. Elle chercha dans son regard une explication quelconque, mais il l’ignora superbement, tout comme il fit peu de cas d’Angelo et de Daniel. À la place, il regarda sa montre.
— Pouvons-nous nous mettre en route ? J’ai franchement bien mieux à faire !
Sa brutalité, son hostilité même, contrastaient avec l’accueil particulièrement chaleureux de Winta. Samantha en fut très surprise, pour autant, elle essaya de ne pas le montrer.
— Il n’y a aucun problème, monsieur Lewis, allons-y.
— Ces deux zigotos sont avec vous ?
— Oui, mais je vous promets…
— Très bien, très bien, intervint Angelo en la poussant légèrement vers lui. Nous allons faire quelques photos si vous le voulez bien. Mademoiselle ? ajouta-t-il à l’intention de Winta, pouvez-vous vous décaler un peu ? Vous êtes dans le champ.
— Oh, pardon !
Mortifiée, Samantha n’osa regarder aucun des deux bénévoles de TogetherNow.
— Angelo, ce n’est vraiment pas le moment.
— Et ça ne le sera jamais… Winta, je rentre. Rien à faire de ces conneries !
— Mais non ! s’emporta Angelo en lui courant après. On a besoin de vous pour la photo ! On ne vous a pas expliqué ? Samantha est une grande actrice, très connue…
— Je m’en cogne comme de ma première chaussette !
— Elle vient de recevoir un Oscar…
— Grand bien lui fasse ! Êtes-vous au courant que pendant que vous faites le con dans cet aéroport, des enfants attendent d’être soignés ?
— Angelo, c’est bon, on s’en va.
— Donne-moi une seconde, chérie, je discute.
Le rictus de Lewis acheva de la mettre à bout de nerf.
— Winta ? lança-t-elle, la voix légèrement tremblante. Pouvez-vous me conduire à notre destination ?
— Euh…
À la seconde où Angelo la vit partir, il planta Lewis et lui courut après.
— Hey, mais attends ! La photo !
Promptement, Samantha se retourna vers lui. Ses yeux lançaient des éclairs.
— Ne commence pas à me faire chier, sinon je te colle dans le premier avion en partance ! D’un, je n’ai pas l’intention de prendre la pose toutes les fois où tu me le demanderas, de deux, je te conseille d’arrêter de me faire passer pour une idiote sans cervelle et de trois… ne m’appelle plus jamais ma chérie. Je ne suis pas ta chérie ! Je ne suis la chérie de personne.
— Pourquoi t’emportes-tu comme ça ?
— Et comment voudrais-tu que je réagisse ? Tu me casses les pieds depuis que nous sommes partis ! Merde, lâche-moi un peu les baskets !
— Peter et Déborah m’ont confié une mission…
— Tu veux que je les appelle ? Que je règle ça directement avec eux ?
— Si vous voulez mon avis, vous devriez tous remonter dans cet avion et rentrer chez vous.
Samantha se raidit pendant que Lewis se dirigeait vers sa voiture, un tout-terrain blanc, portant sur toute la longueur l’inscription TogetherNow.
Sans attendre, il mit le moteur en marche.
— Il ne va quand même pas se barrer sans nous ? s’exclama Daniel, incrédule.
— On dirait bien que si.
— Samantha ? Il y a une voiture à votre disposition, là, juste derrière.
Samantha avisa le SUV noir.
— Je préfère ça, commenta Angelo en s’y pressant.
— Tu le rejoins ? demanda Daniel, incertain.
— Vas-y, toi. Je monte avec eux.
— Sûre ? Il n’a pas l’air de beaucoup t’apprécier.
Sans dire un mot, elle traîna sa valise jusqu’au tout-terrain.
— Le SUV est plus confortable, avança gentiment Winta. Vous devriez vous y installer avec le reste de votre équipe. Les routes ici sont très mal entretenues, ça va beaucoup secouer.
— Elle a raison, ricana Lewis, en la dévisageant au travers du rétroviseur. Il faut prendre soin de votre gagne-pain.
— Lewis…
— Laissez tomber, Winta, ce n’est pas ce genre de remarques qui va m’atteindre. Est-ce que oui ou non, je peux monter avec vous ?
— Ce serait un honneur, répondit la jeune femme, qui ne masquait pas son excitation à cette idée. Ne le répétez pas à Lewis, mais je vous adore depuis toujours. J’ai vu tous vos films et chaque fois que vous passez à la télé, j’écoute ce que vous avez à dire… enfin, quand j’ai du réseau. Je suis une de vos admiratrices.
— C’est gentil, merci…
— Et je suis très heureuse que vous ayez enfin eu cet Oscar. Vous auriez dû le recevoir bien plus tôt.
— On se met en route ou on continue de faire des courbettes à la reine de Hollywood ?
Les deux femmes s’échangèrent un regard navré, puis grimpèrent à bord.
— Vous connaissez un peu la Tanzanie ?
— Pas vraiment. Ceci dit j’ai eu le temps d’apprendre un tas de choses pendant le vol.
— Ah oui ? Comme quoi ?
— On s’en moque, Winta ! Madame Davenport est ici pour réaliser une belle opération de communication et vendre son film.
— Vous avez tout faux !
— Alors, pourquoi être venue avec votre cour ?
— La production me les a imposés. Si j’avais eu mon mot à dire…
— Voilà ! Si vous êtes en Tanzanie, c’est donc bel et bien dans un but commercial.
— Non, c’est pour travailler mon rôle.
— Vous manquez de trophées ? Si j’ai bien suivi, votre armoire en est pleine.
Samantha décida de répondre à sa moquerie par une remarque tout aussi ironique et mordante.
— Je constate que vous êtes quand même au fait de mes récompenses… Auriez-vous regardé la cérémonie ?
— Moi oui ! s’exclama Winta, toute joyeuse.
— Et vous, monsieur Lewis ?
Elle vit sa mâchoire se contracter.
— Pendant que vous vous produisiez sur cette scène en brandissant votre statuette comme si c’était le saint Graal, je m’occupais d’une jeune fille qui venait de faire plus de trois cents kilomètres avec sa mère pour se faire soigner.
— Dohra ?
— Oui.
— Qu’avait-elle ? s’informa une Samantha radoucie.
— Un kyste causé par une infibulation.
— Une infibulation ?
— Une mutilation génitale pratiquée chez des adolescentes prépubères pour les empêcher d’avoir des rapports sexuels vaginaux. Malheureusement dans bien des cas, elle débouche sur des problèmes urinaires.
Sous le choc, Samantha se trouva incapable de parler.
— C’est… c’est horrible.
— Rassurez-vous, le sordide vous sera épargné. Vous poserez à côté d’un puits flambant neuf ou au milieu d’enfants à qui vous tiendrez la main en faisant un grand sourire.
— Ce n’est pas pour ça que je suis ici ! Je veux vraiment être au contact de la réalité et pourquoi pas, donner un coup de main si je le peux.
— Vous rigolez ?
— Absolument pas !
— Le directeur de TogetherNow vous attend au siège de notre association, à Kasama. Votre hôtel est sur la route.
Même derrière le verre fumé de ses lunettes, Samantha devina que Lewis la toisait. Elle soutint néanmoins son regard jusqu’à ce que lui le premier, cède. Oui, elle était une actrice hollywoodienne, avec une maison cossue dans les hauteurs de Los Angeles, un compte en banque bien garni et une vie souvent faite de paillettes, de luxe et de strass, mais la réduire à cela était une grande erreur que l’homme qui la conduisait avait commise.
— J’espère que Monsieur Donaldson me permettra de vous suivre dans votre quotidien, dit-elle en guettant sa réaction dans le rétroviseur.
Lewis se tourna vers Winta qui haussa innocemment les épaules.
— Hors de question que vous m’emmerdiez ! s’emporta-t-il.
— Ne vous inquiétez pas, Samantha, s’empressa Winta, il y a d’autres médecins qui seront plus que ravis de vous aider.
D’un geste rageur, Lewis appuya sur l’accélérateur pour mettre de la distance entre le tout-terrain et le SUV payé par la production de Vents des sables.
CHAPITRE TROIS
Samantha garda le silence pendant le reste du trajet. Plusieurs fois Winta tenta de relancer la conversation, en particulier sur sa carrière et sa vie en Californie, mais elle avait coupé court, refusant de donner davantage de grain à moudre à l’homme dont les préjugés et les a priori à son égard, semblaient nombreux.
Elle en profita pour envoyer un texto à Violette, lui annoncer qu’elle était arrivée en Tanzanie, en route pour son hôtel. Puis elle se tourna résolument vers le paysage qui bordait cette route pleine de trous en formation et de poussière. La terre était ocre, le soleil généreux, le ciel clair et sans nuages.
Ils passèrent devant une station-service en déclin, quelques habitations de style européen, et d’autres plus traditionnelles en terre, avec un toit en tôle. Puis ils empruntèrent une piste poussiéreuse menant à un complexe hôtelier de bon standing. Lewis gara le véhicule sur le parking, mais n’arrêta pas le moteur, signe qu’il comptait repartir très vite.
— Le Tanzania resort a une excellente réputation, annonça Winta en ouvrant la portière à Samantha. Il n’est peut-être pas aussi grandiose que ce à quoi vous êtes habituée, mais…
— Il sera parfait, Winta, rassurez-vous. Je n’ai pas besoin de beaucoup.
Elle entendit Lewis se retenir de pouffer et soupira. Elle était bien trop fatiguée par le voyage pour l’affronter encore une fois.
— Je vais attendre Angelo et Daniel. Merci pour tout.
— Je croyais que vous ne les supportiez pas ?
— Ils sont pénibles, c’est exact, mais au moins, ils sont affables.
Tout en ouvrant le coffre de la voiture, Lewis répliqua :
— Vous voulez dire qu’ils vous traitent comme une princesse. Désolé de ne pas m’être prêté à ce petit jeu. Pour être franc, je n’ai pas eu le choix, j’ai été obligé de venir vous chercher. Sinon vous pensez bien qu’en ce moment, je serais aux côtés des Tanzaniens.
— Comme je vous comprends.
La réponse de Samantha le surprit tellement que Lewis resta un bref instant sans réaction. Puis il retrouva sa contenance, hocha imperceptiblement la tête, et remonta dans sa voiture.
— Vous verrez qu’il n’est pas aussi désagréable qu’il le laisse paraître, murmura Winta, toujours. Lewis est un type extraordinaire. Vous apprendrez beaucoup à son contact.
— S’il ne veut pas ? Je vous avoue que je n’ai pas envie de passer la semaine à me disputer ou à me justifier.
— Cela n’arrivera pas, je vous le promets.
Samantha arqua un sourcil dubitatif, mais elle se heurta à un nouveau sourire de Winta. La jeune Tanzanienne semblait si sûre d’elle qu’elle n’insista pas.
— Nous verrons de toute manière, n’est-ce pas ?
— Absolument… tenez, voilà vos amis.
Les deux femmes se tournèrent vers le SUV noir qui se garait tout à côté. Un Angelo exubérant en jaillit, suivi de près par Daniel.
— Ah parfait ! Excellent ! Très bien ! J’aime beaucoup ce décor, ces pelouses, ces petits pavés… c’est très sympa, très typique.
— Typique de quoi ? questionna Lewis depuis son siège conducteur.
— Eh bien du coin, de la région…
— Que savez-vous de la Tanzanie ?
— Rien, mais ça ressemble à ce à quoi on s’attend. Il manquerait quelques animaux pour donner le ton, mais ce n’est déjà pas mal du tout.
— Angelo ? Nous ne sommes pas en tournage.
— Vous comptez réaliser votre film ici ?
— J’ignore quel lieu sera choisi. De Vents des sables, je ne connais pour l’instant que le scénario.
Le regard de Winta se fit avide.
— Quel sera-t-il ?
— Je vais incarner une infirmière déprimée après une rupture sentimentale qui part en mission humanitaire en Afrique. Là-bas, elle rencontrera des gens formidables qui lui rendront le sourire et répareront son cœur brisé.
— Il y aura une histoire d’amour ?
— Je crois bien que oui.
— Comme c’est original !
Les deux femmes se tournèrent vers Lewis.
— Tu te moques parce que tu n’y connais rien, gronda Winta. N’importe quel scénario, même le plus banal, peut faire un excellent film s’il est sublimé par les acteurs.
— Si tu le dis… bon, demande ton autographe, puisque c’est ce que tu attends, qu’on en finisse !
La jeune Tanzanienne se sentit rougir néanmoins sur sa peau d’ébène, il n’en parut rien.
— Vous désiriez un autographe ? la questionna Winta.
— Si vous êtes d’accord, j’adorerais oui.
Elle tendit à Samantha sa casquette et fit le tour de la jeep pour attraper un stylo.
— Merci, c’est adorable !
— Avec plaisir. Vous aimeriez une photo ? Dans son champ de vision, elle remarqua qu’Angelo donnait des directives à Daniel pour qu’il la filme. Elle s’efforça de l’ignorer. Allez, venez.
Winta ne se le fit pas dire deux fois. Quoiqu’un peu intimidée, elle se rapprocha de l’actrice et tendit son portable à bout de bras pour faire un selfie.
— Lewis ?
— Mmh ?
— Tu voudrais bien…
— Tu plaisantes j’espère ?
Winta leva les yeux au ciel.
— Je ne te demande pas de poser avec nous, seulement de nous prendre en photo ?
— Je ne suis pas certaine que ce soit une bonne idée…
— Mais si, avec joie, grinça l’intéressé.
Il ressortit de la voiture et saisit le téléphone de Winta. Avec des gestes étudiés, à la limite de la caricature, il invita les deux femmes à prendre la pose pendant qu’il cadrait. Mal à l’aise, Samantha dut faire appel à tout son talent artistique pour n’en rien laisser paraître. Lorsque Winta vit le résultat, elle la prit spontanément dans ses bras.
— Vous êtes adorable, Samantha. Merci ! Merci beaucoup. Je vais faire un tas de jalouses.
— Pas de problème. Si vos amies en veulent aussi, ce sera avec plaisir.
— Et bien voilà, nous avons trouvé comment vous occuper.
Ni Samantha ni Winta ne relevèrent. Elles le suivirent du regard pendant qu’il remontait dans la Jeep et appuyait sur la pédale d’accélérateur. Après un dernier salut à sa nouvelle amie, Winta le rejoignit.
— Quel enfoiré celui-là !
Angelo s’était rapproché de Samantha.
— Angelo ?
— Oui ?
— Pour une fois depuis que nous avons pris l’avion à Los Angeles, je partage ton avis.
Angelo se mit à rire, bientôt imité par Samantha qui, enfin, se déridait.
— Allez, on s’installe puis on fait le tour du propriétaire ?
L’accueil que les membres du Tanzania resort réservèrent à Samantha, Angelo et Daniel fut à la hauteur de leurs espérances – du moins, de celles d’Angelo. On leur serra chaleureusement la main, on leur demanda si des photos étaient possibles, puis on les conduisit dans ce qui serait leur chambre. Samantha fut enchantée de découvrir que non seulement les chambres étaient des bungalows, mais qu’en plus, ces derniers étaient suffisamment éloignés les uns des autres pour qu’Angelo ne soit pas en permanence sur son dos. Enfin, elle allait avoir peu d’intimité, de repos et de calme.
Lorsqu’elle découvrit ce que serait son hébergement, elle sut qu’elle s’y plairait. L’harmonie créée entre les bois clairs, le blanc, le crème et le mobilier en rotin rendait l’endroit particulièrement paisible.
— La piscine est de l’autre côté, lui annonça la responsable du complexe hôtelier. Si vous souhaitez vous baigner en toute tranquillité, nous pourrons la privatiser.
— Avez-vous beaucoup de monde en ce moment ? s’inquiéta-t-elle.
— Un groupe de six personnes, venues faire un circuit. Elles repartent après-demain.
Samantha se sentit soulagée. Elle n’avait aucune envie de jouer les stars en Tanzanie. Ce n’était pas pour ça qu’elle avait fait le déplacement. Les caméras, les paillettes, même les fans, tout cela elle le laissait à Hollywood ou lors de ses déplacements promotionnels. Ici, elle ne voulait être que Samantha Davenport, une femme comme une autre, simplement venue faire son travail.
— Personne ne vous importunera, madame Davenport, je vous le promets. Nous souhaitons que le Tanzania Resort soit pour vous un endroit agréable qui vous laissera un très bon souvenir.
— Je vous remercie.
Dès qu’elle referma la porte derrière elle, Samantha poussa un grand soupir. Enfin elle était seule. Plus d’Angelo et de ma puce ou ma chérie, plus de Lewis pour se moquer et lui faire sentir qu’elle n’était pas la bienvenue, plus de courbettes non plus. Elle était enfin tranquille, un luxe aussi rare que précieux. Elle commença par découvrir entièrement son bungalow, puis elle vida sa valise. Angelo lui avait proposé d’explorer les environs, elle avait refusé. Demain, il ferait jour, songea-t-elle en tentant de s’imaginer à quoi cette journée ressemblerait. Elle avait hâte de le découvrir et en même temps, elle l’appréhendait.
La nuit n’avait pas été aussi reposante qu’elle l’aurait souhaité. Elle avait eu beau se raisonner, se dire qu’il ne savait rien d’elle, qu’il ne la connaissait absolument pas, elle avait quand même été sensible aux remarques désagréables de Lewis. Sa manière de la traiter, de la réduire à une caricature, l’avait heurtée. À cause de qui en plus ? D’Angelo et de son comportement qui les avaient tous ridiculisés. Merde, mais pourquoi la production de Vents des sables ne l’avait pas laissée tranquille ? Elle n’avait pas besoin d’eux pour faire son travail, bien au contraire, ils ne faisaient que lui mettre des bâtons dans les roues.
Calculant qu’avec le décalage horaire, il était dix-neuf heures en Californie, Samantha sortit son téléphone portable.
— Hey, Sam !
— Salut Peter.
— Comment s’est passé le voyage ?
— Fatiguant, mais ça va, nous sommes arrivés.
— L’hôtel te convient ?
— Il est parfait. En revanche, j’ai beaucoup à dire concernant Angelo et Daniel. Je ne les veux pas avec moi, Peter. Fais-moi une faveur, ordonne-leur de rentrer par le prochain vol.
— Nous avons déjà eu cette conversation, Sam. Ils restent. Leur présence à tes côtés est essentielle.
— Ils me font passer pour la dernière des idiotes !
— Auprès de qui ?
— Des gens de TogetherNow. Ils nous ridiculisent. Ils me ridiculisent, et ça, je ne le tolère pas.
— J’en toucherai deux mots au responsable de l’association.
— Ce n’est pas ce que je te demande. Je souhaite qu’ils s’en aillent. Je suis ici pour bosser le rôle de Kate, et ils me gênent. Ils m’empêchent d’être crédible.
— Ma grande, répondit Peter, en adoptant ce ton légèrement moralisateur que Samantha exécrait. Tu as carte blanche pour leur remonter les bretelles au besoin, mais tu connais la musique aussi bien que moi. Le succès d’un film se joue des mois à l’avance.
— Il dépend surtout du scénario et des acteurs…
Peter éclata de rire.
— Ne me fais pas croire que tu avales encore ces conneries !
— Évidemment que si ! Jamais je n’aurais postulé pour ce rôle dans le cas contraire.
Il y eut un léger blanc à l’autre bout du fil.
— D’accord, d’accord. Disons que l’histoire et les acteurs sont importants, mais si on ne suscite pas l’intérêt, si on ne capte pas l’attention des gens, si on ne crée pas l’attente, le jour de sa sortie, ils seront moins nombreux à se précipiter dans les salles.
— Il n’y a rien de captivant à me suivre au milieu d’enfants tanzaniens.
— C’est ton point de vue. Nous en avons un autre.
—Tu m’étonnes !
— Relaxe, Sam. Tu verras, tout se passera bien. Ignore-les. Fais ton job et laisse-les faire le leur.
— J’ai quarante-deux ans, Peter, et des années de métiers derrière moi. Arrête de me parler comme si je jouais mon premier rôle !
— Pardonne-moi, mais quelquefois même les plus grands ont du mal à comprendre la réalité économique d’un film. Vous êtes dans votre bulle, dans vos personnages, sans vous inquiéter de ce qui vous entoure. Un film coûte de l’argent ma chérie, un long métrage avec une star oscarisée encore plus… Paul a très bien négocié ton contrat au cas où cela t’aurait échappé.
— Il est là pour ça, répliqua Samantha très sèchement. Tout le monde se fait du fric sur mon dos, il est bien normal que j’aie aussi ma part, je ne vole rien.
— Ce n’est pas ce que j’ai dit.
— En effet, mais tu insinues…
— Rien, si ce n’est que produire un film avec une actrice au sommet de sa carrière et un réalisateur affreusement cher requiert beaucoup d’argent. Les retombées doivent être la hauteur si nous voulons tous rentrer dans nos frais.
— Tu doutes que ce soit le cas pour Vents des sables ?
— En soit, ta présence est une garantie de succès, mais le thème n’est pas des plus glamours. Les gens ont suffisamment de problèmes, ils n’ont pas forcément envie de connaître ceux des enfants africains.
— Si tu n’y croyais pas, Peter, pourquoi avoir souhaité le produire, toi qui ne cherches que le blockbuster ?
Peter toussota avant d’annoncer :
— Tu plais aux foules.
Un sourire un peu cynique s’étira sur les lèvres de Samantha. À Hollywood comme ailleurs, l’argent était bien tout ce qui intéressait.
— Pas de Samantha Davenport, pas de Vents des sables pour Peter Donaldson, c’est bien ça ?
— Tu as tout compris.
— Et que dis-tu de ça : pas de Samantha Davenport si Angelo et Daniel restent ?
C’était du chantage de bas étage, elle en avait pleinement conscience. D’autant qu’elle n’avait pas l’intention de renoncer à ce rôle, elle y tenait trop. Et puis, elle avait signé une clause de dédommagement énorme…
— C’est bien tenté, répondit Peter, beau joueur, mais ça ne marche pas.
Frustrée, Samantha soupira.
— Ne sois pas étonné si je commets un meurtre d’ici à la fin de ce séjour.
— J’ai confiance en toi.
Samantha accueillit fraîchement Angelo et Daniel lorsqu’ils se présentèrent dans la salle du petit déjeuner. Depuis sa conversation avec Peter, elle ne décolérait pas. Les deux garçons allaient bel et bien l’accompagner dans tous ses déplacements, faisant d’elle une bête de foire qui entraînerait de nouvelles moqueries de Lewis et peut-être d’autres membres de TogetherNow guère mieux disposés à son égard.
Aussi, ne répondit-elle pas avec entrain à leur bonjour.
— Oh tu as une petite mine, observa Angelo en s’installant en face d’elle. Le décalage horaire a laissé des traces ?
— Aucun rapport.
— Non ? Alors quoi ?
— J’ai appelé Peter.
— Ah oui ? fit Daniel.
— Il ne veut pas que je vous renvoie en Californie.
Daniel écarquilla les yeux, Angelo esquissa un sourire teinté d’espièglerie. Puis il sortit son téléphone portable et le colla sous le nez de l’actrice.
Ne la faites pas chier si vous n’avez pas envie de plier bagage plus vite que prévu.
— Je comprends mieux…
— Je n’ai jamais caché mon opinion. Maintenant, plus encore.
— Parce que l’autre s’est foutu de toi hier ? Mais tu t’en balances, Sam ! Tu sais quand même ce que tu vaux.
Si Samantha fut touchée par cette remarque en forme de compliment, elle n’en montra rien.
— Je n’ai pas apprécié son attitude, c’est un fait, cependant je le comprends. Nous avions l’air franchement ridicules à l’aéroport.
— On faisait notre job, rétorqua Daniel, vexé. Si ce monsieur ne connaît rien au monde du cinéma, qu’y pouvons-nous ?
— Pas grand-chose, ce qui ne signifie pas que nous pouvons nous faire passer pour des abrutis finis.
— OK, soupira Angelo, dis-nous ce que tu attends de nous, ça ira plus vite.
Samantha reposa sa troisième tasse de café et demanda, d’une voix mielleuse :
— La Californie ne vous manque vraiment pas ? Votre famille, ton fils, Angelo, et toi, Daniel, tes trois petites filles ?
— Nous prendre par les sentiments est bien essayé, grinça Angelo, mais raté. Il est exclu que je déchire le contrat signé avec la production et grille ma réputation, au prétexte que tu as besoin d’un peu d’air. N’oublie pas que c’est toute la promotion autour de tes films qui fait que les gens vont les voir. Si tu en es là aujourd’hui, c’est grâce à nous.
— N’importe quoi ! Si j’en suis là comme tu le dis, c’est parce que j’ai énormément bossé, que je suis une très bonne actrice et que mes films ont bénéficié d’un excellent bouche-à-oreille !
Angelo se cala dans son fauteuil et croisa les bras sur sa poitrine.
— Cela ne fait pas tout. Les mérites sont partagés, cinquante/cinquante.
Samantha secoua la tête.
— Plutôt soixante-quinze/vingt-cinq.
Le directeur de communication grimaça avant de bondir sur ses pieds.
— Choisis le pourcentage que tu veux ma belle, le résultat ne changera rien. La stratégie de promotion pour Vents des sables a déjà été arrêtée, et ce documentaire que nous allons réaliser sur toi en fait bien partie.
En réaction au regard noir que Samantha lui lança, il sourit.
— Termine ton petit-déj et prépare-toi, nous avons une demi-heure avant que le chauffeur ne vienne nous chercher.
Parce qu’elle était à nouveau très contrariée, Samantha jeta sa serviette en papier sur la table et se leva.
Les bâtiments de TogetherNow étaient constitués d’un large bungalow aux murs du même jaune que celui des tee-shirts portés par Lewis et Winta. Tous près, des enfants de tous âges se couraient après ou jouaient avec un vieux ballon. Samantha les vit s’immobiliser lorsque le SUV se gara, puis s’approcher en criant. Elle reconnut immédiatement la jeune femme avec eux : Winta.
— Bonjour, Samantha.
Samantha ne fit aucun effort pour lever les yeux vers Daniel dont elle sentait l’appareil braqué sur elle.
— Bonjour, Winta, bonjour les enfants, ajouta-t-elle en leur décochant un magnifique sourire.
— Paraît que tu es une super grande actrice ? lui demanda un jeune garçon, sceptique.
— La rumeur est correcte, répondit-elle en tentant la légèreté. J’en suis bien une.
— Et tu vas rester avec nous ?
— Quelques jours.
— Pour faire un film ?
— Pour travailler dessus, oui.
— Super, c’est trop bien !
— Merci, ça fait plaisir un pareil accueil.
— Madame Davenport, c’est un honneur de vous accueillir ici.
Samantha leva la tête sur un Africain qui lui tendait la main.
— Je suis James Donaldson, le directeur de TogetherNow.
— Enchantée, James.
De nouveaux enfants les rejoignirent ainsi que des adultes. Samantha balaya les environs à la recherche de Lewis, mais elle ne l’aperçut nulle part. En revanche, son regard se posa sur une petite fille privée de sa jambe droite.
— Bonjour, comment t’appelles-tu ?
L’enfant avait de grands yeux marron bordés de longs cils, une peau très noire sans aucune imperfection. Samantha estima qu’elle devait avoir entre 7 et 8 ans, mais l’expression de son visage la faisait paraître plus vieille.
— Kalisa.
— C’est très joli. Moi, c’est Samantha.
Kalisa ne répondit pas. Elle se contentait de fixer l’actrice et de respirer son parfum aux effluves fleuris.
— Petite ? Tu veux bien donner la main à Samantha ?
— Angelo, c’est hors de question ! bondit Samantha en se redressant. Fous-lui la paix !
Au même moment, Lewis approcha, la démarche féroce, les poings fermés.
— Laissez Kalisa tranquille ou je vous botte le cul hors d’ici, est-ce que c’est bien compris ?
— Calmez-vous, monsieur Lewis, s’empressa Samantha, ils ne feront rien.
La fureur de Lewis ne se dissipa pas. Le doigt qui désignait Kalisa tremblait tant il était en colère.
— Vous devriez avoir honte ! Vous ne voyez pas que vous lui faites peur ?
Soutenue par sa béquille, Kalisa s’était mise à pleurer.
— Oh non ! s’exclama Samantha en s’agenouillant devant elle. Ils ne t’embêteront plus, je te le promets. Regarde, ils s’en vont.
Brutalement, elle se tourna vers Angelo et Daniel, un peu penauds.
— Fichez le camp ! leur intima-t-elle sèchement. Vous avez dépassé les bornes !
— Nous n’avons rien fait de mal, protesta Daniel.
— Non, vous avez juste emmerdé cette enfant qui ne vous avait rien demandé !
— N’exagérez pas…
Lewis la fusilla d’un nouveau regard noir.
— Cette petite n’est pas un animal de foire !
— Personne n’a prétendu le contraire. J’étais en train de faire sa connaissance, voilà tout.
— Avec un appareil-photo braqué sur vous ?
— Écoutez, je n’y peux rien s’ils sont là, d’accord ? J’ai essayé de faire autrement, mais me suis heurtée à un refus catégorique de la production. Je n’ai donc pas le choix que de les supporter et vous non plus. C’est le deal qui a été passé avec l’association. Je vous garantis toutefois que cela ne se reproduira pas.
— Vous pouvez en être certaine ! affirma Lewis en se dirigeant vers James à grandes enjambées.
Samantha le regarda le prendre à partie, elle entendit même le ton monter entre les deux hommes.
— Tu crois qu’il va réussir à tout faire foirer ?
— J’en doute, assura Angelo. Cette association n’aura jamais une meilleure publicité que celle que nous lui apportons en ce moment. Ce Lewis s’en moque peut-être, mais ne nous leurrons pas, les dirigeants y accordent beaucoup d’importance. Les bonnes intentions se financent.
L’argent. Encore et toujours l’argent, songea Samantha. Elle reconnaissait néanmoins que son compatriote disait vrai. L’éclairage qu’elle allait, par sa présence et son implication, offrir à TogetherNow rendrait cette dernière plus populaire auprès des donateurs. Elle ne se faisait d’ailleurs aucune illusion : s’ils avaient accepté leur présence c’était dans ce but.
— Je crois que tu as raison, commenta-t-elle lorsqu’elle vit Lewis lever les bras au ciel, puis s’éloigner et taper du pied dans un conteneur. Il va devoir nous supporter…
— Il s’en remettra, conclut Angelo en enfonçant les mains dans les poches de son bermuda. Chacun son job après tout.
Samantha hocha vaguement la tête.
— Ne dépassez pas les bornes quand même, OK ? Je n’ai pas envie de passer sept jours à me battre avec tous les monsieur Lewis du coin.
Samantha retrouva Winta et son sourire peu après. Une fois de plus, elle s’excusa de la maladresse de son équipe.
— Ne vous inquiétez pas.
— Où est-elle ?
— En classe, avec d’autres enfants. Vous voulez voir ?
— Il est préférable que je m’abstienne.
— Ne vous formalisez pas pour Lewis. Il est très protecteur avec elle.
— Quelle est son histoire ?
Winta l’invita à faire le tour du village dans lequel TogetherNow s’était implantée. Elle accepta chaleureusement. Quand elle sentit une petite main se glisser dans la sienne, elle sursauta avant de découvrir une fillette qu’elle devina un peu plus jeune de Kalisa.
— Je vous présente Azar.
— Bonjour Azar.
Celle-ci lui répondit d’un large sourire.
— Elle veut vous accompagner.
— Ne devrait-elle pas plutôt être à l’école ?
— Elle devrait, si. Elle est un peu réfractaire à cette idée.
Samantha dévisagea Azar.
— Tu n’aimes pas l’école ?
Azar haussa les épaules.
— C’est très important, tu sais. Tu y apprendras un tas de choses qui te seront très utiles par la suite.
Azar ne réagit pas, comme si les mots prononcés par Samantha ne lui parlaient pas.
— Écoute, voilà ce que je te propose. Tu vas en classe avec tous tes camarades, et quand tu as fini, tu viens me voir. Tu pourras me faire visiter le coin. Qu’en dis-tu ?
— Tu promets ?
— Je promets.
Elle noua alors son petit doigt à celui de la fillette et murmura :
— Pinky swear.
Le sourire se fit si large qu’il illumina tout le visage d’Azar. Brutalement, elle lâcha la main de Samantha et courut vers un bâtiment sur les murs duquel était peinte une fresque montrant des enfants qui jouaient.
— Bravo !
Samantha haussa imperceptiblement les épaules. Son esprit dériva vers Kalisa. Elle restait marquée par son regard noyé de larmes.
— Je vous assure que Kalisa va bien.
— Je lui ai fait peur pourtant.
— Non, ce sont les cris qui l’ont perturbée… Elle, sa mère et son frère sont les seuls survivants d’un massacre perpétré dans son village, au Burundi.
— Quelle horreur. Est-ce que son amputation…
La gorge serrée par l’émotion, Samantha ne termina pas sa question.
— Durant leur exode, elle a été sévèrement mordue par une vipère. Lewis l’a prise en charge à temps.
— C’est lui qui l’a amputée ?
— Oui.
— Quel âge a-t-elle ?
— Six ans.
— Mon Dieu, articula Samantha. Obligée de fuir son village, de quitter son pays pour éviter d’être massacrée, et maintenant cette amputation… elle refoula la larme qui menaçait.
— C’est le lot de beaucoup…
— Est-ce qu’il y a quelque chose que je peux faire ?
Winta devina toute son émotion et la sincérité de sa question.
— Elle va bien, Samantha, réitéra-t-elle en posant une main sur son avant-bras.
CHAPITRE CINQ
CHAPITRE CINQ
En compagnie de Winta, Samantha parcourut des chemins de terre dorée et entra dans plusieurs habitations où opéraient les bénévoles de l’association. Dans une bâtisse aménagée en bureau, deux femmes, derrière des ordinateurs, assuraient le suivi des projets en cours, des dons, et faisaient remonter les informations auprès des responsables. Elles saluèrent rapidement l’actrice avant de se remettre au travail.
— Quels sont vos principaux donateurs ? interrogea Samantha.
— Des philanthropes habitant essentiellement en Allemagne et en Angleterre.
— Et les bénévoles ?
— Ils viennent d’un peu partout. De Tanzanie comme pour James et moi, d’Afrique du Sud comme Lewis, mais aussi d’Europe, d’Amérique et même d’Asie. Et puis il y a le volontourisme. Je ne sais pas si vous en avez entendu parler ?
Samantha secoua la tête. Tandis qu’elles se dirigeaient vers le centre de soin géré par l’association et dans lequel œuvrait Lewis, Winta lui expliqua :
— Le principe est simple : vos offrez un peu de temps pendant vos vacances pour servir une cause ou un projet, comme construire un puits, aider à bâtir une école, dispenser des cours d’anglais… un tas de petites missions sont menées de cette manière.
— Vous ne semblez pas très emballée…
— Je suis mitigée. Avoir des bras supplémentaires pour faire la cuisine ou apporter des pompes à eau dans des endroits un peu reculés est une très bonne chose, mais pour le reste, je suis sceptique. Prenez les cours d’anglais par exemple. Il faut un programme et un suivi. Malheureusement les enfants changent de prof toutes les semaines. Dans ces conditions, ils ne peuvent pas progresser, ils ne font que réapprendre toujours la même chose.
— C’est toujours mieux que rien.
— Je préférerais quand même moins de volontourisme et plus d’engagement humanitaire sur une longue période. Pour moi, les vraies avancées ne peuvent se faire que dans la durée, pas en quelques heures par-ci par-là. Enfin bon, termina Winta en haussant les épaules, c’est ainsi… tenez, nous voilà au centre médical.
Samantha pénétra dans un bâtiment d’assez belles dimensions. Même s’il n’était pas de toute première fraîcheur - le bleu des murs était passé, craquelé par endroit, il était propre. Un homme, le bras en écharpe, attendait assis par terre. Un enfant avait un pansement à l’œil, une femme enceinte discutait avec une autre.
— Il est dirigé par Lewis, qui est chirurgien et médecin urgentiste. Il y a aussi trois infirmières, un obstétricien, et deux internes venus compléter leur formation.
— Cela est-il suffisant pour répondre à la demande ?
— Non. Les cas plus compliqués sont renvoyés vers les hôpitaux.
Samantha se sentit pleine d’admiration pour ces humanitaires au grand cœur. Dès qu’elle croisa une infirmière, elle lui sourit largement.
— Je suis enchantée de vous rencontrer, fit-elle en lui tendant la main.
— Oh non c’est moi ! Je sais qui vous êtes, madame Davenport. Promettez-moi une photo avant de partir.
— Avec grand plaisir…
— Finalement, vous vous en allez ?
Samantha se retourna sur la voix inamicale de Lewis. Les bras croisés sur sa blouse, il la toisait. À côté de lui, se tenait la petite Kalisa. À chacun de ses mouvements, le bas de sa robe laissait entrevoir le bout de son membre amputé, totalement bandé.
— Désolée, non.
Son sourire satisfait tomba.
— Au cas où vous ne seriez pas au courant, vous vous trouvez dans un centre médical, pas sur un lieu de tournage ou dans une salle de cinéma.
— Je le sais…
Il la considéra longuement avant de porter son regard sur deux personnes que Samantha avait totalement oubliées : Angelo et Daniel. Pour autant, ils ne bronchaient pas.
Ignorant l’attitude peu amène de Lewis, Samantha se rapprocha de Kalisa.
— Est-ce que tu vas bien ? s’enquit-elle de la voix la plus douce qu’elle le put.
Kalisa hocha la tête.
— Tu n’as pas trop mal ?
— Le docteur Lewis dit que c’est normal et que ça passera.
Samantha esquissa un faible sourire. La maman qu’elle était souffrait pour cette petite, pour son histoire passée, pour ce qu’elle vivait encore aujourd’hui, et pour son futur.
— N’y a-t-il pas moyen de lui trouver une prothèse ? Elle pourrait remarcher et se déplacer sans béquille.
— Personne ne vous a attendue, ricana Lewis. Nous avons entrepris toutes les démarches nécessaires et espérons pouvoir l’envoyer en Allemagne.
— C’est une excellente nouvelle !
Est-ce la sincérité dans sa voix ? La joie réelle qu’elle semblait éprouver à cette annonce ? Quelque chose en tout cas eut raison de l’agressivité du médecin. Samantha remarqua que les muscles de sa mâchoire se détendaient et qu’il perdait de sa hargne.
— Ce n’est pas encore fait, expliqua-t-il sur un ton légèrement radouci. Le financement est compliqué. Il y a le transport de Kalisa, son hospitalisation, l’appareillage et tous les soins. Et je refuse qu’elle aille en Allemagne sans sa mère et son frère. Elle a déjà perdu une grande partie des siens, je tiens à ce que les survivants restent ensemble. Je sais que nous pourrions trouver une famille d’accueil pour sa convalescence, mais vu les circonstances, je m’y oppose.
— Rien ne serait pire en effet que d’arracher cette enfant à sa mère et son frère.
Lewis hocha la tête. Leur regard à tous les deux dérivèrent vers Kalisa qui s’avançait péniblement vers la sortie. Ils la virent s’immobiliser devant la porte du centre tandis que dehors, ses camarades jouaient au ballon.
— Quelle somme vous manque-t-il ? demanda Samantha, les yeux sur la petite fille.
— L’amputation de Kalisa implique une prothèse avec un genou artificiel. Les premiers devis, hors habillage de la structure, sont de plusieurs dizaines de milliers d’euros. À cela s’ajoutent les frais d’hospitalisation et ceux d’hébergement. L’addition se monte à plus de deux cent mille euros. Nous n’avons que soixante-dix mille euros. C’est à la fois beaucoup et largement insuffisant.
— Je paierai la différence.
— Vous ? s’exclama un Lewis incrédule. Pourquoi ?
— Parce que je le peux. Je suis une star de Hollywood, vous vous souvenez ? J’ai des millions en banque, je peux en dépenser quelques milliers pour une cause qui me paraît juste.
— Qu’exigerez-vous en contrepartie ? Que TogetherNow soit rebaptisé la Samantha Davenport’s association ?
— Je ne veux rien. Cette enfant, en revanche, a besoin d’un peu de chance dans sa vie.
— Certains affirmeraient qu’elle est en vie et qu’en soi, c’en est déjà une.
— Et d’autres répondraient qu’avec une jambe en moins et un statut de réfugié, pas vraiment.
— Seriez-vous du genre à voir le verre à moitié vide ?
— Et vous, le verre à moitié plein ?
— Je suis médecin urgentiste humanitaire, rappela Lewis. Il est préférable – même recommandé, d’être optimiste et de se satisfaire de peu.
Samantha approuva d’un signe de tête.
— J’étais sérieuse quand je vous ai dit vouloir vous aider à financer la prothèse et le voyage de Kalisa, n’en doutez pas un instant.
Lewis laissa échapper un petit rire ironique.
— Vous êtes une actrice, apparemment une bonne…
— Auriez-vous finalement regardé mes films ?
— J’ai bien mieux à faire. Je ne suis pas une de ces filles qui ne cessent de parler de vous et de faire votre éloge.
— En toute franchise, j’aurais été déçue si vous m’aviez répondu autre chose.
Sa remarque le laissa à court de mots. Ravie de son petit effet, Samantha lui tourna le dos et retrouva Winta, en grande discussion avec Angelo.
— Vous souhaitez poursuivre la visite ?
Winta nota la lueur dans les yeux de l’actrice et s’en amusa. Elle briserait les réticences de Lewis, elle en était persuadée.
— Et comment ! En route !
Alors qu’elle saluait Kalisa, Samantha croisa le regard du médecin humanitaire.
— Demain, lui apprit Winta, plusieurs bénévoles se rendront dans un orphelinat à deux heures d’ici, ça vous dirait de venir ?
— Oh, mais oui, avec grand plaisir !
Winta l’emmena découvrir la cuisine, là où une dizaine de femmes, certaines en tee-shirt et bermudas, d’autres portant le kanga, un tissu traditionnel et coloré qui se porte autour de la taille comme une jupe longue et sur la tête, pour couvrir les cheveux et les épaules, préparaient des plats odorants.
— Nous les distribuons aux familles les plus démunies des alentours.
Samantha fit plus que les regarder. Spontanément, elle retroussa les manches de son chemisier. Cheveux attachés et lunettes de soleil remontées sur les cheveux, elle se proposa pour surveiller la cuisson du riz pendant que d’autres faisaient mijoter de la viande ou du poisson.
— Quel est ce plat ? se renseigna-t-elle en étudiant le contenu d’une grande cuve.
Une femme en robe bleu turquoise expliqua dans un anglais approximatif :
— C’est l’ugali, une spécialité de chez nous. Il est à base de manioc, de ragoût de viande, de légumes, de tomate et d’oignons. C’est très bon.
— On dirait oui.
— Sam ? Un petit sourire ?
Angelo et Daniel n’étaient jamais bien loin songea-t-elle en se prêtant pour une fois au jeu. Mais quand elle vit que des femmes, des hommes et même des enfants s’agitaient, portant chaises et tables, elle leur lança :
— Et si vous alliez plutôt donner un coup de main ?
— On prépare pour l’arrivée des familles, expliqua une cuisinière.
— Bien, voilà, vous pouvez les aider à tout installer.
Angelo écarquilla les yeux, peu enthousiaste à cette idée. Daniel en revanche n’hésita pas longtemps avant de ranger son matériel dans son sac à dos. Quand il le vit s’éloigner, Angelo lança un dernier regard en direction d’une Samantha souriante et satisfaite.
Lorsqu’elle sortit des cuisines, elle les trouva en pleine action, le tee-shirt mouillé de sueur. Angelo avait cessé de faire la tête. Aidé de deux adolescents, il portait une table. Daniel quant à lui, faisait l’andouille et amusait les enfants qui tournaient autour de lui.
Enfin entièrement libre de ses mouvements, elle engagea la conversation avec les villageoises, et découvrit que ces repas à destination des familles pauvres des environs étaient servis plusieurs fois par semaine.
— On prépare l’ugali, le riz pilau, un plat très populaire chez nous, ainsi que du poisson, des légumes, des fruits… les enfants ont besoin de manger sainement pour grandir dans de bonnes conditions, énonça Aneth, une femme d’une quarantaine d’années qui s’exprimait dans un anglais impeccable. Sinon, ils tombent malades.
Tout en parlant, Aneth retira son énorme marmite du feu et la porta sur une table en bois. Dehors, l’agitation était à son comble. Samantha jeta un œil et vit que des femmes, des hommes, des enfants, des vieillards étaient arrivés. L’espace d’un instant, elle songea à ces barbecues qu’elle organisait dans sa propriété, sur les hauteurs de Los Angeles. En dépit du contexte, l’ambiance ici semblait tout aussi amicale.
— Vous voulez servir ?
Sourire aux lèvres, elle se rendit disponible pour remplir des assiettes de riz pilau. Elle sentit plus d’une fois qu’elle était la curiosité du jour, mais ne s’en formalisa pas. Bien au contraire, elle donna de sa personne sans compter, servant à la chaîne, gratifiant les uns et les autres d’un bonjour ou d’un petit commentaire. Elle ne réalisa pas que les minutes, les demi-heures s’égrenaient. Quand tout fut terminé et qu’il était désormais temps de ranger, elle était encore pleine d’énergie. Pour son plus grand plaisir, elle remarqua qu’Angelo et Daniel étaient dans le même état. Sans qu’on le leur demande, ils débarrassèrent les tables.
CHAPITRE SIX
Angelo remit cependant très vite le masque du communicant venu en Tanzanie dans un but précis. Au grand damne de Samantha, il se donna à nouveau en spectacle, l’invitant à poser devant ci ou ça, incitant Daniel à filmer et photographier sans discontinuer. Lorsqu’elle se retrouva entourée de jeunes enfants, il en devint ridicule. Samantha leva les yeux au ciel, mais plutôt que de s’énerver encore une fois, elle préféra se concentrer sur ces derniers. Certains lui demandaient d’où elle venait et ce qu’elle faisait ; quand elle parlait de cinéma et d’Amérique, leurs yeux s’écarquillaient.
— Un jour, moi aussi j’irai en Amérique, affirma un petit garçon, d’une voix forte et déterminée.
— Ah oui ?
— Oui. Je serai avocat et je défendrai les gens.
— Moi, je serai médecin, avança une préadolescente aux grands yeux noirs. Et je m’occuperai des habitants de mon pays.
Un à un ou presque, tous partagèrent leurs rêves avec elle. Samantha fut émue en réalisant que malgré les conditions parfois difficiles dans lesquelles ils vivaient, tous croyaient en un avenir meilleur.
— Et toi Kalisa ? interrogea-t-elle lorsqu’elle la vit s’approcher.
— Elle ? Elle pourra rien faire, se moqua un garçon en la pointant du doigt.
— Pourquoi pas ?
— Elle a qu’une jambe.
— Et alors ? Cela ne l’empêchera pas de devenir ce qu’elle souhaite.
Le garçon dévisagea Samantha, sans comprendre, puis haussa les épaules.
— Qu’aimerais-tu faire, Kalisa, quand tu seras grande ?
Elle ne répondit pas. Elle sentait le regard des autres, percevait leurs doutes et leur scepticisme ; pour tout dire, elle les partageait. Comme Assane, elle était persuadée que son existence n’aurait rien d’exceptionnel ou d’heureux.
— Je ne sais pas, confia-t-elle timidement.
Samantha se porta alors à sa hauteur et la contraignit à la regarder droit dans les yeux.
— Tu es une petite fille très courageuse, Kalisa. Tu ne dois jamais laisser personne te faire croire le contraire ni te donner à penser qu’à cause de ton amputation, tu n’as plus d’avenir. C’est faux, tu sais ?
Kalisa baissa la tête. Samantha lui prit la main.
— Les choses vont s’arranger, je te le promets.
— Ne lui faites pas de fausse promesse, vous voulez ?
La voix glaciale de Lewis la fit lever la tête.
— Ce n’était pas mon intention.
— Vraiment ?
Promptement, elle se redressa.
— Je n’ai pas pour habitude de mentir, monsieur Lewis. Ce que je vous ai dit un peu plus tôt est toujours d’actualité. Je vous aiderai à financer sa prothèse et tout ce qui va avec.
— Oh la cachottière qui ne nous a rien dit ! s’exclama Angelo. Voilà pourtant une annonce de première importance ! Pour sauver une petite fille, Samantha Davenport met la main à la poche… ça fera un énorme tabac !
— Angelo, s’il te plaît, ce n’est pas le moment.
— Au contraire ! La voix de Lewis se fit plus dure. Je comprends mieux vos raisons à présent. Ce sont vos intérêts que vous servez en priorité, pas ceux de Kalisa.
— Je n’y avais même pas songé !
— Et quand bien même ? Nous sommes ici un peu pour ça, fit remarquer Angelo. Et je ne vois franchement pas où est le problème. La petite a sa prothèse et Sam une belle couverture médiatique, tout le monde est gagnant.
— Angelo…
— Vous devriez vous en aller. Je pense que vous avez assez de photos et de vidéos. Prolonger cette mascarade est parfaitement inutile.
Piquée à vif, Samantha répliqua :
— J’ai prévu de demeurer dans le coin toute la semaine, vous vous souvenez ? Mieux, j’ai demandé à rester près de vous parce que je sens que c’est avec vous que j’en apprendrai le plus sur l’humanitaire. Je vais donc vous accompagner dans tous vos déplacements, n’est-ce pas excitant ?
En l’apprenant, le visage de son interlocuteur se décomposa.
— C’est hors de question !
— J’en ai déjà discuté avec James. Il a donné son accord.
Lewis se raidit.
— Tout ça pour un film ? Ma parole, mais vous êtes inconsciente ! Vous n’avez pas la moindre idée des risques que vous nous feriez prendre.
— De quels risques parlez-vous ? C’est moi qui vais devoir subir votre mauvaise humeur et votre hostilité perpétuelles !
— Vous n’êtes pas sur un plateau de cinéma, mais en Afrique !
— Oui et ?
Lewis se passa la main dans les cheveux, mais au lieu de s’expliquer, il lui tourna le dos et partit presque en courant. Samantha lui emboîta le pas et entra à sa suite dans le bâtiment où se géraient l’administratif et la logistique de l’association.
— James ! C’est quoi cette histoire ?
James regarda les deux nouveaux venus, tout transpirants de chaleur et de colère.
— Elle n’a rien à faire ici, encore moins collée à mes basques !
— C’est pour son film, pour être là plus crédible possible.
— Tu sais que c’est dangereux. Je ne veux pas être responsable de sa sécurité, j’ai beaucoup mieux à faire.
— Calme-toi Lewis, tout ira bien, je te le promets. Elle fera profil bas…
— Elle, se manifesta Samantha, est dans cette pièce, avec vous !
— Oui, pardon, madame Davenport.
— Quel est le problème au juste ? Hormis le caractère exécrable de monsieur Lewis ?
— Le problème, siffla ce dernier, c’est que la route n’est pas sûre en ce moment. Il est fréquent que des petits groupes armés arrêtent des voitures, pillent, enlèvent ou tuent. S’ils apprennent qu’une actrice américaine sillonne la campagne sans escorte…
— Ils pourraient nous attaquer ?
— Évidemment !
— Serait-ce que vous vous souciez de mon bien-être ?
— En aucun cas. Personne ne vous a demandé de venir, donc, quoiqu’il vous arrive, vous l’aurez choisi. Les autres en revanche n’ont rien demandé, c’est pour eux que je m’inquiète.
Samantha comprit que Lewis ne plaisantait pas. Il ne cherchait pas à lui faire peur pour qu’elle renonce, au contraire, il était très sérieux.
— Suis-je en danger ?
— Une star internationale est une proie magnifique pour les chefs de guerre.
— N’exagérez pas. Nous sommes en Tanzanie, pas au beau milieu d’une guerre.
— Vous vous pensez à l’abri ? Les frontières ne sont pas sûres pourtant. Entre le risque de terrorisme, les enlèvements et les attaques en tout genre, la Tanzanie n’est pas exactement une zone sécurisée. Vous auriez dû choisir une ONG avec beaucoup plus de moyens que pour votre petite escapade.
— Je vous dérange à ce point ? répliqua Samantha en peinant à garder son calme.
— Je ne vous apprécie pas. Ni vous ni vos petits copains. Vous avez signé un accord avec James ? Très bien, il doit y trouver son compte. Mais tenez-moi à l’écart de tout ce bordel. J’ai bien mieux à faire qu’à vous servir de guide. Et je vous prierais également de laisser Kalisa tranquille. Vous ne vous intéressez pas à elle dans son intérêt, mais dans le vôtre. Essayez au moins de ne pas jouer les hypocrites.
Ébranlée par ses attaques, Samantha perdit toute contenance. Pourquoi cet homme au demeurant généreux, s’acharnait-il ainsi contre elle ? Qu’avait-elle fait de si répréhensible ? Lorsqu’il tourna les talons, elle le suivit du regard en silence.
— Il n’a rien contre vous, tenta James, ouvertement embarrassé.
— Vous et moi n’avons pas entendu le même discours on dirait, lui retourna-t-elle froidement.
— Lewis grogne mais il ne mord pas. Il prend juste très à cœur sa mission.
— Je prends mon travail également très au sérieux. C’est la raison pour laquelle je suis ici. Pour apprendre et incarner le plus parfaitement possible mon prochain rôle. Il bosse, je bosse, je ne vois pas où est le problème.
— Certainement tout ce qu’il y a autour de vous, la lumière, les paillettes, Hollywoord. Pour lui vous ne faites que gagner de l’argent sur le dos des gens humanitaires et de tous ceux qui vivent ici.
— C’est pourtant le contraire que je cherche à faire. Je n’aurais pas accepté de tourner dans Vent des sables si je n’avais pas pensé qu’il pourrait permettre de sensibiliser une peu.
— Je sais qui vous êtes, Miss Davenport, répondit James. Je connais vos engagements. Lewis, beaucoup moins.
— Dommage pour lui.
Samantha hésita entre retourner au Tanzania Resort ou continuer à côtoyer les humanitaires de TogetherNow. Mais si Lewis était un acharné, elle aussi. Ce personnage, elle voulait l’incarner à la perfection et, encore une fois, marquer les esprits. C’était sa marque de fabrique, l’une des raisons de son succès. Elle se jetait corps et âme dans un scénario, une production, un rôle, surtout si elle y croyait et que ça lui tenait à cœur. Elle refusait de se laisser intimider, d’accepter un non. Elle ne l’avait que trop fait par le passé.
Il y avait du monde dans le centre médical quand il y entra. Un grand nombre de villageois attendaient d’être examinés et soignés par Lewis. Bravant tous les interdits, elle partit en quête du médecin et le découvrit en train d’ausculter un petit garçon assis sur les genoux de sa mère. Malgré tout ce qu’elle éprouvait à son égard, elle fit un pas en arrière et patienta dans le couloir.
Quand la maman et son enfant sortirent, elle se matérialisa devant lui.
— Je pensais que nous en avions fini, que tout était clair pour vous, marmonna-t-il en terminant de griffonner sur une petite feuille cartonnée.
— Vous vous êtes montré limpide.
— Vous êtes toujours là pourtant.
— Incontestablement. Quand il redressa la tête et croisa son regard, elle ajouta : et je vous dis à demain, monsieur Lewis.
— Vous pouvez répéter ?
— Vous devez vous rendre dans un orphelinat, je crois… et bien, je suis du voyage.
— Hors de question !
— Monsieur Lewis, je suis en Tanzanie dans un but précis et n’ai pas l’intention de me laisser intimider par qui que ce soit. Vous avez essayé de me faire peur tout à l’heure avec vos histoires d’enlèvement et de terrorisme, mais je suis certaine que tout se passera très bien. Je vous accompagnerai donc demain et rentrerai avec vous. Il n’y a pas à discuter.
— Bordel, mais regardez la carte ! s’emporta Lewis en pointant l’affiche sur le mur derrière lui. Vous voyez là ? C’est le Rwanda. Et là, le Burundi. Tous les jours, des centaines de gens passent la frontière ; certains ne fuient pas, ils profitent seulement de l’instabilité régionale pour trafiquer et faire régner la violence. Vous seriez un trophée de premier choix pour eux.
— Vous imaginez le pire parce que cela vous arrange…
Un mur. Voilà à quoi Lewis avait la sensation de se heurter. D’exaspération, il secoua la tête.
— Vous n’êtes qu’une femme capricieuse et inconsciente !
— Je suis une professionnelle qui ne fais pas les choses à moitié, tout comme vous. Je m’implique beaucoup dans mon travail, monsieur Lewis. Et je n’accepte pas que quiconque me menace ou me dise ce que j’ai le droit de faire ou non.
— Au cas où cela vous aurait échappé, vous n’êtes pas au cinéma, madame Davenport, mais dans le monde réel. Et dans celui-ci, en particulier en Afrique, le danger est partout.
— Je suis une grande fille, je suis capable de l’affronter.
À chacune de ses tentatives pour la déstabiliser, Samantha répondait et lui tenait tête sans ciller. Elle résista à tel point que, de guerre lasse, il renonça et préféra s’occuper d’un autre patient.
CHAPITRE SEPT
Lewis eut beau contester et rouspéter, rien n’y fit: Samantha, Angelo et Daniel firent partie du voyage jusqu’à Sengerema. Quand elle l’aperçut au petit matin, chargeant son véhicule de multiples cartons, le visage fermé, cette dernière hésita avant de lui proposer son aide. Comme prévu, il la rembarra d’un non merci glacial.
— Je vous promets qu’il n’arrivera rien, osa-t-elle d’une voix bien plus douce que celle de son interlocuteur.
— Ah bon ? Vous avez appelé vos gardes du corps à la rescousse ?
— Nous n’en aurons pas besoin.
— Je vous le souhaite, grinça Lewis avant d’aller chercher d’autres cartons.
Il ne s’était pas montré des plus aimables, mais au moins semblait-il s'être fait à l’idée qu’elle serait du voyage.
— Bonjour Samantha.
Le sourire accueillant de Winta tranchait si nettement avec l’attitude de Lewis, qu’elle éprouva une immense gratitude pour la jeune tanzanienne.
— Bonjour, Winta. Vous venez vous aussi ?
— Oh oui, je me porte toujours volontaire. Ces enfants sont si attachants ! D’une voix plus basse, complice, elle demanda : Vous montez avec Lewis ou avec nous ?
Samantha aurait aimé voyager avec le médecin parce qu’il avait certainement beaucoup à lui apprendre, mais vu les circonstances, elle ne préféra pas. C’eut été jeter inutilement de l’huile sur le feu.
— Avec vous, si cela ne vous dérange pas.
Winta, qui avait deviné ses réflexions, lui fit un clin d’œil.
— Peut-être au retour ?
— Nous verrons. Je n’ai franchement pas envie de me le mettre plus à dos, mais c’est horriblement frustrant. On sent son dévouement, son implication… il est inspirant comme bonhomme.
— Ah ça, vous pouvez le dire !
— Hélas pour moi, il a décidé qu’il ne m’aimait pas.
— Il pense que vous êtes comme toutes ces stars qui se prennent pour mère Teresa, mais qui, en réalité, ne viennent en Afrique que pour se montrer, sourire aux enfants et aux caméras avant de vite repartir.
— C’est archifaux ! Je ne suis pas là pour me faire voir, bien au contraire. Si je fais Vents des sables, c’est parce que le sujet me tient vraiment à cœur.
— Samantha ? tenta doucement Winta, vous n’avez pas à vous justifier, surtout auprès de moi. Je sais qui vous êtes, vous vous rappelez ?
Angelo et Daniel sur les talons, Samantha monta à bord d’un van aux couleurs de l’association. Winta ne masqua pas sa joie en choisissant le siège voisin du sien. La Tanzanienne, curieuse, entama tout de suite la discussion. Elle voulait connaître les dessous de Hollywood et à quoi ressemblait la vie d’une grande star de cinéma.
— À bien des égards, elle est celle de madame Tout-le-Monde, avança Samantha, en souriant devant l’incrédulité affichée de son interlocutrice. Je fais mes courses, je marche dans les rues, j’emmène ma fille à des concerts, à des spectacles, je m’occupe de mon jardin…
— Ah bon ?
— Oui, c'est un vrai plaisir. Être au contact de la nature m’apaise et me donne de l’énergie.
— Je vous imaginais avec une foule de serviteurs, prêts à répondre au moindre de vos désirs…
— Oh non ! Je n’ai rien d’une diva capricieuse contrairement à ce que se figure monsieur Lewis. Ce que je peux faire moi-même, je le fais. J’ai toujours refusé que Violette grandisse en pensant que tout lui était dû.
— C’est une bonne chose, il faut qu’elle garde les pieds sur terre, n’est-ce pas ?
— Absolument. Je crois qu’elle les a.
L’amour maternel qui transparaissait dans la voix et le visage de Samantha lorsqu’elle évoqua Violette, toucha Winta.
— Elle a beaucoup de chance d’avoir une mère telle que vous.
— Ma fille a toujours été ma priorité.
Winta sourit bravement.
— Et vous Winta ? Vous avez de la famille ?
— Pas vraiment... enfin, c’est compliqué. Ma mère est morte du Sida, il y a quelques années. Nous sommes restés, mes frères et moi, avec notre père, mais c’était vraiment difficile. Nous n’avions pas d’argent, pas grand-chose à manger et lui était vraiment très dur avec nous. Nous nous sommes retrouvés dans les rues de Dar el Salaam à essayer survivre. Par chance, j’ai rencontré des gens qui travaillaient pour une association humanitaire. Ils nous ont conduits tous les quatre dans un orphelinat. Je n’ai plus de nouvelle de ma famille, mais je me dis que mes frères s’en sont sortis, comme moi, et qu’ils sont heureux.
— Vous êtes une belle personne Winta, conclut Samantha, très émue. Une jeune et belle personne.
— Vous savez, il y a des gens dans des situations bien pires. Et c’est vrai en plus ! Regardez cette pauvre Kalisa. Elle a fui la violence, fui son pays et se retrouve maintenant avec une jambe en moins ! Elle est encore petite, tout cela laissera forcément de grosses traces.
— C’est sûr… nos épreuves nous marquent à jamais.
Le souvenir de sa vie avec Baldwin, du bonheur que cela avait été avant que tout ne bascule, plongea Samantha dans le mutisme.
Pendant un moment assez long, elle garda le visage résolument tourné vers un paysage sans grand relief.
— Nous arrivons.
La voix de Winta la tira de ses pensées pour la ramener au présent. Elle réalisa alors que leur véhicule se garait près de la Jeep de Lewis et d’une habitation modeste, avec un toit peint en bleu. Sur le mur du bâtiment principal, il était inscrit, en africain et en anglais : orphelinat. Autour, des enfants erraient, certains jouaient, d’autres semblaient un peu perdus. Les plus curieux regardèrent dans leur direction et dès qu’ils les reconnurent, ils coururent vers eux.
— Vous êtes très populaires, commenta gentiment Samantha.
Winta acquiesça avant de se laisser embarquer dans une série d’étreintes.
— Salut, les enfants, comment ça va ?
Lewis avait retiré son masque antipathique pour offrir aux orphelins une autre façade de sa personnalité. Il sourit généreusement, tapa dans la main des plus grands, embrassa les plus petits. Les enfants répondirent tous en même temps à ses saluts, créant ainsi une joyeuse cacophonie.
— On a appris une nouvelle chanson, tu viens l'écouter ?
— Un peu plus tard, d’accord ?
Sans leur donner le temps de répondre, Lewis se dirigea vers la Jeep et en ouvrit la porte arrière. Winta, prit le relais et leur présenta Samantha. En son honneur, ils tapèrent en rythme dans leurs mains, et chantèrent. Bientôt, une ronde se forma autour de l'actrice, qui tout à coup, se sentit intimidée.
— Nous vous avons apporté des affaires d’école et quelques vêtements, annonça Winta en se mettant à danser.
L’enthousiasme des enfants se décupla. Quelques-uns se déhanchèrent à côté d’elle.
— Allez, Samantha, venez avec nous !
Samantha n’hésita pas longtemps. L’ambiance était joyeuse, les chants entraînants… elle se laissa guider par un garçon d’une dizaine d’années. Elle repéra Lewis qui l’observait du coin de l’œil et Daniel qui avait la caméra braquée sur elle, mais choisit de les ignorer.
Le cœur encore battant, le souffle court, le front en sueur, elle enchaîna avec une visite en bonne et due forme de l’orphelinat. Bien vite, elle réalisa qu’il n’y avait finalement pas grand-chose à voir. L’endroit offrait un toit, une table et quelques chaises, rien de plus. Dans une pièce appelée « salle de classe », quelques élèves, à même le sol, écrivaient dans des cahiers pendant qu’un homme leur apprenait des rudiments d’anglais. À l’extérieur, juste derrière, d'autres arrachaient des herbes.
— C’est pour nourrir la vache, expliqua Winta. Et là-bas, enchaîna-t-elle en désignant un coin de terre retournée, c’est le potager. Il faut qu'ils aient des légumes, c'est important pour leur croissance.
— Il n’y a pas assez à manger, c’est ça ?
— L'orphelinat ne reçoit pas d'aide gouvernementale. Il dépend entièrement des bonnes volontés, dans le village et en dehors.
Le regard de Samantha se posa sur un petit garçonnet. La lutte contre la famine qui sévissait dans les pays pauvres et touchait en priorité les enfants, était l’une des causes qu’elle défendait avec le plus d’ardeur. Elle usait de sa popularité pour alerter, tenter de faire pression sur les gouvernements, donner de l’argent et participer à des chantiers humanitaires, rien de ce qu’elle faisait ne semblait suffire. Elle refusa néanmoins de se laisser abattre. Après tout, qu’importait ses états d’âme ? Elle n’était pas à la place de ce petit garçon ni à celle de tous ces orphelins. Sans même y réfléchir, elle rejoignit les enfants qui arrachaient de l’herbe. Elle essaya d’aller aussi vite qu’eux, mais eut du mal à suivre leur cadence, ce qui les amusa beaucoup.
— Vous ne pourriez pas vous sentir un peu concerné ? lança-t-elle à Angelo et Daniel.
— Nous sommes censés te filmer !
— Allez Angelo, un petit effort. Ils dépendent des bonnes volontés, tu as entendu Winta comme moi, non ?
Angelo fit la moue. Daniel en revanche, opina. Quand il le vit rejoindre Samantha, Angelo se résigna.
— Tu râles, mais dans le fond, tu es d’accord, n’est-ce pas ? le taquina cette dernière.
— Nous verrons ce qu’en penseront Dick et Déborah.
— Que du bien, rassure-toi.
Ils échangèrent d'abord un regard amusé puis un sourire complice.
Quand vint l’heure de repartir, Samantha donna encore plus de sa personne. Elle prit un enfant dans ses bras, en câlina une foultitude d’autres. Certes, ils manquaient de choses matérielles, mais ce qui leur faisait le plus cruellement défaut, c’était l’amour, l’affection, les bras réconfortants d’une maman. Pour une raison ou une autre, ils avaient échoué ici, dans cet orphelinat misérable, loin de leur famille – si tant est qu’ils en aient encore une. La sensation était douloureuse pour l’actrice qui se figura, une fraction de seconde, Violette. Malgré elle, elle serra plus fort le petit contre elle ; ses lèvres effleurèrent son crâne. En cet instant, elle aurait voulu rester auprès de lui pour toujours, pour lui assurer que ses problèmes étaient derrière lui et qu’il n’aurait pas à faire face, seul, à l’avenir.
Lorsqu’elle s’en détacha après un ultime baiser sur ses joues, elle sentit ses yeux humides. Découvrir que Lewis l’observait, les bras croisés, la dissuada de se laisser aller. Elle se mordit la lèvre jusqu’au sang et redressa la tête.
— Ils sont attachants, n’est-ce pas ?
Pour la première fois depuis le matin, il lui adressait la parole, et sur un ton étonnamment moins rude.
— Oui… c’est difficile de se représenter ce qu’ils vivent.
Lewis se contenta d'acquiescer avant de désigner sa Jeep.
— Vous montez ?
— Je vous demande pardon ?
— Les autres rentrent, moi, je rends visite à une patiente dans un village un peu plus loin. Vous voulez m’accompagner ?
Sidérée, elle resta à le dévisager.
— C'est vous qui voyez, formula-t-il en lui tournant rapidement le dos pour regagner son véhicule.
CHAPITRE HUIT
Ils roulaient depuis une dizaine de minutes, dans un silence religieux, sur une route cabossée. Samantha sentait la fatigue de la journée la gagner, mais pour rien au monde, elle n’aurait sommeillé alors qu’à ses côtés, se trouvait l’homme qui lui menait la vie si dure depuis qu’elle avait posé un pied en Tanzanie. Pour rester éveillée, elle se risqua à le questionner. Peut-être serait-il d’humeur à lui répondre. Après tout, c’était lui qui lui avait proposé de l’accompagner ; pour une fois, elle n’avait rien demandé, elle ne s’était pas imposée.
— Cela fait longtemps que vous êtes en Tanzanie ?
— Six ans. Avant, j’étais à Haïti.
Haïti. Encore un endroit que la nature avait durement frappé.
— Je m’y suis rendue après le tremblement de terre, observa Samantha. Ce fut un voyage très éprouvant.
Elle ne s’étendit pas davantage. De toute manière, si Lewis s’y trouvait à ce moment-là, il savait lui aussi.
— Vous êtes vraiment actrice ?
Surprise, elle le dévisagea de profil.
— Oui, pourquoi ?
Lewis parut hésiter. Elle le vit retenir les mots qui ne demandaient qu’à sortir, puis renoncer.
— Pour rien.
— J’ai conscience que vous me prenez pour une idiote juste bonne à sourire devant une caméra, mais vous vous trompez, monsieur Lewis. Mon existence ne se résume pas à ma carrière cinématographique, aux trophées, aux photos et aux tapis rouges. Je ne suis pas focalisée sur mon nombril. Certaines situations, certains événements, aux États-Unis ou ailleurs, me blessent profondément et me font réagir.
Un silence pesant s’abattit sur eux peu après. Ce fut Lewis qui le brisa.
— Je vous crois
— Vous êtes sérieux ?
Il y avait tellement de stupéfaction dans sa voix, qu’il s’en amusa. Elle le vit se dérider, redevenir l’homme qui avait été accueilli en fanfare par les enfants de Sengerema. N’était son fichu caractère, elle aurait pu le trouver séduisant, se dit-elle en étudiant à la dérobée son visage au teint hâlé qui révélait, quand il souriait quelques jolies rides.
— J’ai dit que je vous croyais sincère, ne soyez pas aussi choquée.
— Figurez-vous que je le suis. Depuis mon arrivée, vous me rabâchez que je ne suis pas la bienvenue et que je vous ennuie. Vous me traitez comme une écervelée, un parasite.
— N’exagérez pas…
— Je ne pense pas être dans l’excès, c’est vraiment de cette manière que j’interprète et ressens votre attitude.
Sans le vouloir, Samantha était parvenue à l’ébranler. Winta avait eu beau le sermonner et l’inviter à se montrer moins agressif, jusqu’à ce moment, il n’avait pas réalisé à quel point il l’avait blessée.
— Je ne vous ai jamais traitée de parasite !
— Vous me l’avez fait comprendre à maintes reprises, mais cela est si peu important pour vous que vous l’avez oublié.
Du coin de l’œil, il l’observa.
— Vous jouez bien les martyres… vous devez être une sacrée bonne comédienne.
Samantha ne sut pas s’il plaisantait ou non ; elle préféra botter en touche et ne pas réagir.
— J’ai cherché votre nom hier, sur Internet, lui avoua-t-il sans quitter la route des yeux.
— Ah oui ?
— Je ne l’avais pas fait jusque-là parce que ce qui tout ce qui se rapportait à vous et à vos deux toutous ne m’intéressait absolument pas, mais… disons que l’engouement de Winta à votre égard a fini par susciter ma curiosité. Oh je vous rassure ! s’empressa-t-il alors qu’elle esquissait un sourire, je ne suis pas tombé en pâmoison ni devenu un inconditionnel de Samantha Davenport. Je n’ai vu aucun de vos films et ne compte pas le faire…
— Vous m’étonnez ! Vous avez bien d’autres chats à fouetter.
— Il y a de ça... et aussi le fait qu’il n’y a aucun cinéma dans le coin.
Quand il se mit à rire, Samantha se laissa aller à son tour. Ainsi donc, Lewis avait le sens de l’humour et de l’autodérision !
— Vous voulez savoir ce que j’ai appris sur vous ?
Le sourire disparut des lèvres de Samantha ; brusquement, elle se raidit.
— Dites-moi...
— Vous êtes une grande gueule, madame Davenport. Mais je n’avais pas besoin d'Internet pour le découvrir.
— Permettez, monsieur Lewis que je prenne votre remarque pour un compliment.
— C’est Lewis, pas monsieur Lewis. Mon nom de famille est Stanton.
Samantha sourit largement.
— Enchantée Lewis, moi, c’est Samantha.
Pendant un moment interminable, l’un et l’autre gardèrent le silence. Lewis restait concentré sur la route, Samantha admirait le soleil qui commençait à décliner. L’instant avait quelque chose de magique.
— C’est superbe, formula-t-elle à voix haute.
— La Tanzanie a certes beaucoup de problèmes, mais c’est un pays d’une beauté sans pareil. Si vous vous rendiez au Ngrorongogo, vous n’auriez pas de mot.
— Où ça ?
— Au Ngrorongogo. Vous ne connaissez pas ?
— Pas du tout.
Émerveillée par les nuances de couleurs qui bariolaient le ciel, elle sortit son téléphone portable, prit plusieurs photos et fit une courte vidéo.
— C’est aussi pour votre film ?
— Non, pour Violette. Elle s’essaie à la peinture en ce moment, et ce qui l’intéresse, c’est peindre des levers et des couchers de soleil.
— Violette est votre fille, c’est bien ça ?
— Oui... Vous l’avez appris en surfant sur internet ?
— Il y a beaucoup de choses sur vous en ligne, sur votre carrière, vos prises de position, votre vie familiale…
Samantha grimaça.
— Vous avez fait le tri, j’espère.
Cette fois, ce fut Lewis qui lui lança un regard biais.
En lisant toutes ces informations à son sujet, il s’était rendu compte à quel point il l’avait mal jugé. Samantha Davenport n’était pas une Bimbo écervelée ni une actrice en mal de sensations fortes. Elle n’était pas en Afrique pour faire joli ou pour accroître sa cote de popularité ; de cela, il en était certain. En plus de son métier, cette femme se battait contre les injustices et les violences faites aux autres. Lewis avait aussi découvert qu’elle n’avait pas toujours eu la belle vie. Il avait lu les articles sur les abus de drogue et d’alcool de Baldwin. Sur ses pertes de sang-froid qui valaient à son épouse de s’afficher pendant une semaine avec des lunettes noires. Sur ses incartades et ses infidélités. Sur son combat pour garder sa dignité et protéger sa fille. Il avait également pu se rendre compte de sa détermination à devenir une actrice inspirée, talentueuse, incroyable, qui lui valait de belles critiques et des récompenses par dizaines. Il n’irait pas jusqu’à dire qu’il l’admirait, mais il avait pour elle du respect et une certaine empathie… masquée sous des couches de fierté mal placée.
— Nous arrivons.
CHAPITRE NEUF
Le village dans lequel Lewis les conduisit reflétait comme tant d’autres, la pauvreté du pays. Les habitations étaient délabrées, certaines en état de ruine. À leur arrivée, quelques personnes tentèrent de leur vendre tout et n’importe quoi ; Lewis les ignora. Marchant dans ses pas, Samantha baissa la tête.
— La voiture ne risque rien ? se renseigna-t-elle, soudain moins assurée.
— Il n’y en a pas pour longtemps.
Il s’arrêta devant une maison à moitié effondrée, et appela avant d’entrer sans attendre d’y être invité. Samantha hésita puis lui emboîta le pas. Une femme très âgée, le visage creusé, le corps maigre, sortit de l’ombre.
— Bonjour docteur Stanton, formula-t-elle d’une voix éraillée.
Lewis posa la main sur son épaule avant de la dépasser et de se diriger avec détermination vers un lit où était couchée une adolescente.
Samantha n’alla pas plus loin. Lorsque Lewis lui parla, qu’il l’examina, elle se détourna pudiquement.
— C’est un bon médecin, laissa tomber la vieille femme, en hochant la tête.
— Je le crois en effet, approuva-t-elle avant de se tourner vers Lewis qui sortait de son sac plusieurs boîtes, ainsi que deux petites bouteilles d’eau et quelques barres de céréales.
Quelques secondes plus tard, il s’écartait du lit.
— Nous pouvons y aller.
Dès qu’ils eurent regagné la jeep, Samantha demanda :
— Qui est cette jeune fille ?
— Grâce a été agressée sexuellement par un de ses cousins. Quand ils l’ont appris, ses parents l’ont répudiée et chassée. Elle a trouvé refuge ici, chez une de ses tantes qui a accepté de briser les traditions.
— Elle n’a pas l’air en forme elle non plus.
Lewis secoua la tête.
— Eunice a le Sida, mais elle refuse de quitter sa maison pour l’hôpital.
— Pourquoi ça ?
— Elle a peur de la perdre. C’est tout ce qu’elle possède.
Révoltée par ce qu’elle venait d’entendre, Samantha sentit la colère lui vriller les tympans. Tout ceci était tellement dramatique ! Tellement cruel !
— Heureusement qu’il y a des gens comme vous, Lewis.
— Hélas, je ne fais pas de miracle.
— Vous plaisantez ? Ce que vous faites à longueur de journée, en dépit de cette chaleur accablante et des conditions de travail plus que rudimentaires, est absolument admirable. Winta a raison, vous êtes un sacré bonhomme.
Lewis manqua de s’étouffer.
— Winta dit que je suis un sacré bonhomme ?
— Elle n’a pas utilisé ces termes…
— Alors c’est vous ?
— Oui… Avouez que c’est une plus agréable description qu’un emmerdeur doublé d’un râleur de première !
Quand il éclata de rire, les rides près de ses yeux se creusèrent légèrement. Samantha sentit comme un élan de tendresse pour ce médecin baroudeur qui dissimulait tellement de belles qualités.
— C’eut été peu flatteur en effet, mais plus proche de la réalité.
— Je ne crois pas. Vous avez simplement un caractère franc et faites savoir sans détours quand les choses ne vous plaisent pas. Il n’y a rien de répréhensible là-dedans.
— Oh si, la détrompa-t-il doucement. Les gens n’aiment pas entendre une opinion différente de la leur. Quand vous vous exprimez malgré tout, ils ont tendance à vous le reprocher et même, à vous le faire payer.
— C’est ce qui vous est arrivé ?
— Plus ou moins. J’ai eu l’occasion de bosser pour d’autres associations, bien plus prestigieuses que TogetherNow et cela s’est mal terminé.
— Trop bougon ? Pas assez politiquement correct ?
— C’est ça, sourit Lewis. Quand je n’aime pas la manière dont les choses se passent, je le dis ouvertement et cela déplaît à certains… Mais ce n’est pas grave, c’est le jeu. J’en accepte les règles.
— Vous avez toujours travaillé dans l’humanitaire ?
— Oui. Ce n’est pas un refuge, pour moi, ni une voie de garage. Du plus loin que je me souvienne, j’ai voulu soigner les gens à travers le monde. J’ai commencé chez moi, en Afrique du Sud où il y a tant à faire. Je faisais du bénévolat dans les quartiers pauvres. Ensuite j’ai fait des études de médecine d’abord au Cap puis à Chicago, et me suis spécialisé dans l’urgence humanitaire.
— C’est votre vocation, conclut Samantha, sans chercher à masquer à quel point elle était impressionnée.
Il se tourna vers elle.
— Comme les plateaux de cinéma sont la vôtre.
— J’avoue que le métier d’actrice m’a toujours fait rêver. J’aimais la possibilité d’incarner des personnages totalement différents, de vivre mille et une vies, de porter des costumes parfois improbables et de faire des choses illégales.
Lewis ne masqua pas sa surprise.
— Comme quoi par exemple ?
— Prendre une chaise pour casser une vitrine de magasin, tirer dans les pneus d’une voiture…
— Casser une vitrine ? Vous ne donnez pas l’impression d’être violente pourtant.
— On m’a souvent attribué des rôles de romantique, douce et fragile. Quand j’ai enfin pu choisir mes films, je me suis tournée vers des personnages plus révoltés, plus bad-ass. J’adore ça, c’est si marrant !
— Pourquoi cela ne m’étonne pas ?
— Aucune idée… Dites-moi, si je vous offrais une bière, vous accepteriez ?
À peine avait-elle posé sa question qu’elle se sentit rougir. Et l’expression de pure surprise sur le visage de Lewis ne fit qu’aggraver les choses.
— Il y a un bar dans le resort, tenta-t-elle maladroitement, si un petit moment de détente vous dit…
Lewis gara la Jeep dans le parking du resort. Il faisait nuit noire à présent, mais toutes les allées qui menaient vers les bungalows ainsi qu’à la réception et au bar-restaurant, étaient éclairées. Quand elle vit qu’Angelo et Daniel avaient eu la même idée, Samantha grimaça. Elle s’efforça néanmoins de masquer son inconfort en saluant ses deux compatriotes.
— Bonne soirée, messieurs, leur lança-t-elle avec un détachement feint.
— Belle soirée à toi aussi, formula Angelo en lui adressant un clin d’œil appuyé.
Elle ne releva pas. Elle chercha simplement la place la plus loin d’eux.
— Rassurez-vous, ils ont rangé leur caméra et leur appareil-photo.
— Je m’en fous, répliqua Lewis en tirant une chaise pour s’y asseoir. C’est surtout vous… cela doit être pénible à la longue.
— On finit par ne plus y penser.
Lewis la considéra longuement sans rien dire, puis, il prit sa commande et alla la récupérer au bar. Samantha le suivit du regard. Si elle l’avait trouvé exécrable, à présent, elle appréciait de plus en plus sa compagnie.
— Madame est servie.
Encore troublée, elle le remercia maladroitement tandis qu’il posait devant elle une bière locale.
— C’est une bière artisanale faite avec de la banane. Vous me direz ce que vous en pensez.
Intriguée, elle porta immédiatement la bouteille à ses lèvres.
— Pas mauvais, jugea-t-elle après deux gorgées.
Lewis approuva son commentaire d’un signe de tête.
— Je ne pourrai pas vous y accompagner, mais si vous avez envie de découvrir un endroit unique en son genre, vous devriez faire un saut au cratère de Ngorongoro. Vous y verriez un tas d’animaux encore en totale liberté et des paysages majestueux. Si vous y êtes pour le lever ou le coucher du soleil, vous pourriez faire de belles photos pour votre fille.
Qu’il ait une pensée pour Violette la toucha bien plus qu’elle n’aurait accepté l’admettre. C’était une marque d’intérêt que peu de gens, même parmi ceux qu’elle côtoyait quotidiennement, manifestaient.
— Je ne connais pas ce cratère, est-ce loin ?
— Un peu oui, il faudrait partir très tôt, mais cela vaut le coup, croyez-moi.
— Je doute d’avoir le temps pour faire du tourisme.
Lewis fit s’entrechoquer sa bouteille à la sienne.
— À une autre fois alors ?
— À une autre fois.
Un étrange frisson les parcourut tous les deux au même moment ; Samantha le mit sur le compte de la fatigue et de la bière à la banane qui commençait sans doute à faire son petit effet.
— Et si vous me parliez un peu de ce film ?
— Vents des sables ? Je pensais que vous vous en moquiez comme de votre première chaussette.
— Tout le monde peut changer d’avis, n’est-ce pas ?
L’expression de son visage, la lumière dans ses yeux, troublèrent Samantha. Pour garder contenance, elle songea à Kate, ce personnage qu’elle devrait bientôt incarner sur grand écran.
— C’est l’histoire d’une infirmière qui, pur oublier son chagrin d’amour, s’envole pour l’Afrique. Elle se trouve confrontée à une réalité qui lui fait rapidement oublier sa peine. Cette femme finit par prendre fait et cause pour les indigents et par devenir une voix au milieu du chaos.
— Un rôle sur mesure en somme.
— Le producteur et le réalisateur voulaient travailler avec moi. Ils ont créé ce personnage parce qu’ils savaient que je serais séduite par Kate et voudrais l’incarner.
— Vous serez très bien, j’en suis convaincue.
La certitude dans sa voix et l’intensité subite de son regard la firent à nouveau vaciller. Cette fois, elle se reprit très vite.
— Vous croyez ? Vous qui méprisez les acteurs et tout ce qu’ils représentent ?
— Je le pense sincèrement. Vous vous impliquez dans votre travail, je m’en rends compte, et vous vous battez pour vos idées… Je vous ai vue à l’œuvre ces derniers jours, vous êtes une tête de mule qui ne lâche rien, mais vous avez aussi du cœur. C’est une jolie combinaison.
— C’est ce qu’on appelle être déterminée et pro, expliqua Samantha en riant presque. Si vous voulez survivre dans cet univers parfois mortel qu’est Hollywood, vous devez posséder les deux, et à haute dose. Sinon, au premier choc, vous vous effondrez et plus jamais vous ne vous redressez.
— Présenté comme cela, ça semble terrible.
— À bien des égards, ça l’est.
— Rassurez-vous, vous n’avez rien à craindre. Le tout Hollywood vous baise les pieds.
Samantha se perdit dans ses pensées. Elle laissa son esprit remonter le temps, de ses premiers pas sur les planches de son lycée jusqu’à son ovation au Chinese Theater. C’est vrai, elle avait manifesté une détermination et une résilience à toute épreuve. Elle en avait eu des coups durs pourtant, avant même Baldwin. Elle en avait connu de ces obstacles qui en auraient fait renoncer plus d’une. Mais elle avait tenu la barre coûte que coûte, enduré en silence quand il l’avait fallu, accepté d’être rabaissée, d’être traitée comme une misérable, une moins que rien. Elle avait lutté âprement pour son rêve, était tombée à plusieurs reprises, mais toujours, elle s’était relevée.
— Je sais qu’aujourd’hui on ne voit que la star, mais j’ai ramé, comme tout le monde. J’ai eu mon lot de galères. J’ai connu ces instants d’humiliation, en pleine audition ou sur un plateau, ces moments où personne ne vous prend au sérieux. Les regards hautains, méprisants, parfois lubriques, de ceux qui ont votre carrière entre les mains. Ceux qui vous détaillent sous tous les angles comme si vous n’étiez qu’un bout de viande. Qui vous trouvent trop grande, trop petite, trop rousse, pas assez pulpeuse, pas assez mince… Et je ne vous parle même pas de celles et ceux qui vous plantent un couteau dans le dos pour un rôle.
— Eh bien, siffla Lewis, vous parlez d’un monde qui fait envie !
— Un monde impitoyable en effet. Mais si vous tenez le coup, ce métier est extraordinairement gratifiant ! Et puis avec votre notoriété, vous pouvez faire des choses qui ont du sens et apporter beaucoup aux autres. J’en connais peu qui le permettent.
— Comme hurler dans les rues, une pancarte à la main et vous faire arrêter ?
Samantha arqua un sourcil.
— J’ai vu des photos sur Internet.
— Au moins de cette manière, on a parlé de la manifestation.
— C’est sûr…
Une nouvelle fois, Lewis l’étudia avec beaucoup de sérieux.
— Je crois que je vous ai mal jugée, madame Davenport. Mea Culpa.
— Samantha, s’il vous plaît. Vous et moi ne sommes plus ennemis, n’est-ce pas ?
— Non, nous ne le sommes plus.
Le petit silence qui flotta dans l’air les laissa tous les deux embarrassés. Pour le cacher, ils se ruèrent sur leur bière. Puis, très galamment, Lewis lui proposa de la raccompagner jusqu’à son bungalow et elle accepta.
— Bonne fin de soirée, Samantha.
— Merci Lewis. Je vous dis à demain ?
— Absolument.
Elle resta sur le perron, à le suivre des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse derrière les arbres.
CHAPITRE DIX
Sans aucun doute, Lewis Stanton serait son plus grand regret. Alors qu’elle buvait son café, Samantha réalisa qu’elle aurait adoré passer davantage de temps en sa compagnie. Sans qu’elle y prenne garde, le Sud-Africain était parvenu à la séduire. Malheureusement, dans moins de deux jours, elle rentrait en Californie.
— Raconte !
La voix d’Angelo la tira brutalement de ses pensées. Sans crier gare, il s’assit en face d’elle, bien vite imité par Daniel.
— Quoi donc ?
— Toi et le beau Lewis bien sûr ! Et ne garde aucun détail pour toi.
— Moi et… mais il n’y a rien à dire, rien du tout !
— À d’autres ! clama Daniel. Vous vous êtes fait les yeux doux, hier.
— N’importe quoi ! Nous prenions un moment pour souffler après une journée particulièrement rude. Nous ne faisions rien de mal.
— Personne ne prétend le contraire, Sam. Mais vous voir en bons termes au lieu de vous écharper était pour le moins inattendu… et très intéressant. Love is in the air ?
— Que tu es bête ! s’exclama Samantha, les joues en feu.
Elle n’était plus une adolescente pourtant. Elle avait quarante-deux ans et une fille de seize ans. Pourquoi alors rougissait-elle de la sorte ?
— Nous conversions comme les deux êtres civilisés que nous sommes.
— À d’autre ma jolie, gloussa Angelo. Si tu y mettais un peu plus de conviction, nous goberions davantage ton mensonge, là, c’est raté.
— Angelo ? Je ne suis pas ta jolie, je te l’ai déjà dit.
— Sur ce coup, l’interrompit Daniel, c’est un razzie que nous te décernons. Ton jeu d’actrice est peu convaincant.
— Vous avez l’intention de me casser les pieds toute la journée ? Parce que dans ce cas, je vous invite à rester ici et à profiter de la piscine.
— Oh, mais ne le prends pas mal ! Relaxe… après tout, tu es libre de faire ce que tu veux, avec qui tu veux. Aux dernières nouvelles, tu es une adulte, célibataire qui plus est.
— Et puis toi et Lewis, vous formeriez un beau couple. Deux grandes gueules ensemble, ça ferait du bien à Hollywood.
— Sérieusement ? Vous ne croyez pas qu’il a mieux à faire que sourire aux caméras ?
Consciente qu’elle venait de trahir un peu de ses émotions – et de ses pensées, Samantha plongea son nez dans sa tasse de café. Elle aurait bien aimé, même pour un temps assez bref, faire découvrir son monde à Lewis, ne serait-ce que pour le convaincre que le star-system n’était pas composé que de gens superficiels et intéressés. Hélas, elle savait la chose impossible. Jamais il n’abandonnerait TogetherNow ni ne renoncerait à ce qui donnait un vrai sens à sa vie.
— Il te plaît, n’est-ce pas ?
La voix d’Angelo avait repris sérieux et gravité ; il ne se moquait plus, ne la taquinait plus. Pour une fois, il se comportait en adulte.
— Je reconnais que je l’aime bien.
Comme chaque matin quand le SUV les déposait à Kasama, Samantha, Angelo et Daniel furent accueillis par des sourires et des chants. Les enfants leur tournaient autour, certains grimaçaient devant les objectifs de Daniel, ce qui les faisait tous beaucoup rire.
— Nous organisons une nouvelle distribution de repas aujourd’hui, avertit Winta. Si le cœur vous en dit, vous pouvez y participer.
— Avec grand plaisir, oui.
— Et demain, pour votre départ, nous avons prévu une petite fête. Il y aura de la musique, des chants traditionnels, de la danse…
— Demain soir ?
— Ce sera notre manière de vous dire merci pour cette belle semaine.
— Non, fit Samantha, la voix vibrante. Elle prit les mains de Winta dans les siennes : merci à vous. À vous tous, ajouta-t-elle en incluant les enfants et les quelques bénévoles qui étaient à pied d’œuvre.
— Une photo ? Une photo ?
Une petite fille lui tapotait le bras, insistant tant et si bien qu’elle lui céda. Plusieurs autres la tirèrent par la manche.
— Winta ? Vous vous joignez à nous ?
Peu à peu le groupe qui prit la pose grossit. Puis Samantha, toujours sous l’impulsion des gamins, dansa au rythme de leurs mains qui battaient la mesure et de leurs chants.
Elle s’arrêta, en nage, le souffle court, quand elle remarqua Kalisa, appuyée sur sa béquille.
— Bonjour, ma grande, comment vas-tu ?
— Bien, répondit timidement Kalisa.
Elle aurait voulu s’amuser elle aussi. Seulement son handicap la restreignait dans ses mouvements et son cœur blessé, traumatisé, l’empêchait encore de sourire à la vie et de chanter.
— Tu sais, bientôt, tu pourras danser comme tes camarades, je te le promets. Lentement, le regard noir empreint d’une profonde tristesse se posa sur Samantha. J’ai dit au docteur Lewis que je ferai ce que je peux pour que toi et ta famille puissiez aller en Allemagne te faire soigner comme il faut. Ta maman et ton frère seront avec toi tout le temps et quand tu reviendras, tu n’auras plus besoin de béquille.
Samantha se demanda si Kalisa avait bien saisi tout ce qu’elle venait de lui annoncer ; elle réalisa que oui au moment où un superbe sourire illumina le visage de la petite fille.
— Tu dis la vérité ?
— Je dis la vérité.
Kalisa laissa alors tomber ses béquilles pour se jeter dans ses bras. Profondément émue, Samantha la serra contre son cœur. Aucune des deux n’accorda d’attention à Daniel qui, à distance respectable, mitraillait la scène.
— Vous ne pourrez plus faire marche arrière maintenant, au risque sinon de terriblement la décevoir.
Samantha leva les yeux vers Lewis.
— Je n’en ai jamais eu l’intention.
Il approuva d’un signe de tête avant de passer son chemin et de regagner le centre médical.
Samantha l’y retrouva, occupé à soigner la jambe d’un petit garçon. Elle se contenta de l’observer, de prendre mentalement des notes, de visualiser Kate à sa place. Ce rôle lui vaudrait une nouvelle récompense, elle en était certaine. Elle ferait tout pour que cela arrive, et pour ainsi rendre hommage aux êtres comme Lewis qui donnaient sans compter, sans rien attendre en retour.
Quand ce dernier lui proposa de venir avec lui dans les villages alentour, elle accepta avec un entrain qui lui arracha un sourire.
— J’adore votre enthousiasme.
— Toujours quand il est question de mon travail. Je veux faire de Kate un personnage réaliste, collant vraiment au terrain. Pas une caricature ni un cliché du médecin humanitaire.
— J’avais bien compris… vos glus vous suivent ?
— Mes… oh, Angelo et Daniel ? Non, ils donneront un coup de main ici, ce sera une manière bien plus utile de les occuper.
— Ils ont peut-être leur mot à dire.
Au lieu de lui répondre, Samantha se pressa vers la Jeep. Si elle prenait la tangente sans que ses deux compatriotes ne le remarquent, ils ne pourraient plus rien. Alors qu’elle se tassait ans le siège pour ne pas être repérée, elle pouffa comme une gamine, ravie de son bon tour.
— Je crois qu’ils vous cherchent.
— Alors qu’attendez-vous, foncez !
Lewis démarra le moteur ; le véhicule s’éloigna dans un nuage de poussière ocre.
— J’ai l’impression de fuir des paparazzi. C’est ça votre quotidien ?
— Quelquefois, confia Samantha en se rasseyant normalement. Heureusement qu’il existe des sorties de secours.
— Quelle horreur !
— On s’y habitue.
— Je crois qu’à votre place, je perdrais régulièrement mon sang-froid et ferais plus souvent la une des faits divers que celle des remises de prix.
— Oh, rassurez-vous, je fais les deux !
Ensemble, ils rirent de bon cœur.
Quel drôle de séjour ! Quelle belle rencontre inattendue ! Samantha était ravie de la tournure que prenait son séjour.
— Vous savez Lewis, je n’aurais qu’un seul regret au moment de rentrer.
— Lequel ?
— J’aurais bien aimé aller avec vous dans ce cratère dont vous m’avez parlé hier.
— Confidence pour confidence, cela m’aurait plu de vous y conduire et de vous servir de guide. L’endroit est superbe. Je suis sûr que vous l’auriez apprécié à sa juste valeur. Seulement…
— Vous êtes très occupé, ce que je conçois et comprends parfaitement.
— Dans une autre vie, alors ?
Il osa un regard dans sa direction. Un regard intense, chargé de non-dits, d’aveux et de paroles brûlantes retenues.
— Ouais, souffla-t-elle, dans une autre vie.
Après cette discussion qui avait tué dans l’œuf leurs espérances, ni l’un ni l’autre ne chercha plus à faire un pas en avant. Samantha le suivit comme son nombre dans chaque village qu’ils traversèrent, dans chaque maison qu’il visita, auprès de chaque homme, femme et enfant qu’il soigna. Puis ils rentrèrent à Kasama, épuisés et un peu tristes.
Le lendemain l’humeur était à la nostalgie. Même Angelo et Daniel n’en menaient pas large. Ils n’avaient pas prévu d’aider les autres et cependant, c’était ce qu’ils retiendraient de cette semaine. L’enthousiasme, les sourires, les chants, et les rires de ceux qui avaient pourtant si peu. Ils retournaient en Amérique bien plus humbles qu’au moment de leur départ.
Samantha passa la journée la boule au ventre. Le soir, pendant la petite fête organisée en leur honneur, elle se mordit plus d’une fois les lèvres pour ne pas se laisser gagner par l’émotion. Elle aussi voulait rendre hommage à Winta, James, Kalisa et tous les enfants et les adultes qu’elle avait côtoyés pendant la semaine. Quand elle en eut l’occasion, elle se rapprocha de Lewis. Il s’était porté volontaire pour les reconduire à l’aéroport, mais elle tenait à lui faire ses adieux en privé. Elle lui trouva la mine renfrognée, un air un peu patibulaire. Malgré elle, elle en sourit.
— Il y a peu, vous auriez sauté de joie à la perspective de notre départ, le taquina-t-elle.
— Vous savez ce qu’on dit : il n’y a que les idiots…
Samantha acquiesça.
— J’ai apprécié tout ce que vous avez fait pour moi, Lewis, enfin, pour nous, pour moi, Kate, et Vents des sables. Si le film cartonne, ce sera en grande partie grâce à vous.
— Ce sera surtout dû à votre talent.
— J’essaierai d’être à la hauteur, je vous le promets. Je ne voudrais surtout pas vous décevoir.
Elle se hissa sur la pointe des pieds et l’embrassa sur la joue. Le contact si agréable, de ses lèvres sur sa peau provoqua une telle sensation qu’elle ferma les yeux. Lewis se tourna légèrement vers elle. Il glissa sa main derrière sa nuque et sans accorder d’importance à qui que ce fût, l’embrassa à pleine bouche, confiant dans cet unique baiser toutes ses émotions et toutes ces paroles qu’il ne prononcerait probablement jamais. Quand il la relâcha, pantelant, le cœur au bord des lèvres, Samantha osa un sourire espiègle.
— Ce n’est qu’un au revoir, monsieur Stanton, pas un adieu. N’oubliez pas la promesse que j’ai faite à Kalisa.
Elle lui adressa un clin d’œil qui réussit enfin à le dérider.
— Je n’aurais jamais imaginé pouvoir vous dire ça, mais j’ai hâte de vous revoir.
Le cœur de Samantha manqua un battement. Elle lui caressa la joue et lui sourit tendrement.
— Alors, compte sur moi pour revenir et te faire enrager.
Il rit.
— Ce sera toujours avec plaisir.
Samantha se lova dans ses bras et assista, la tête contre son torse, à son dernier coucher de soleil. La Tanzanie allait lui manquer songea-t-elle. Intérieurement, alors que les premières étoiles se tapissaient le ciel, elle pria pour qu’elle ait au plus vite, l’occasion d’y revenir. Elle mourait d’envie de découvrir toutes les promesses que pouvait lui réserver la Tanzanie.
FIN
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